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Rhétorique contre Réalité : une analyse critique du discours de Doumbouya à l’occasion de la Fête de l’indépendance de la Guinée, le 2 octobre 2024

Le récent discours du colonel Doumbouya à l’occasion du 66e anniversaire de l’indépendance de la Guinée présente une vision convaincante du progrès national, caractérisée par des thèmes d’unité, de développement et d’autonomisation. Il vise à raviver le patriotisme et la fierté tout en exposant des projets ambitieux de réforme des secteurs clés tels que la gouvernance, les infrastructures, la santé et l’autonomisation des femmes. Cependant, un examen critique révèle une divergence substantielle entre le discours gouvernemental et les réalités vécues par les Guinéens sous la direction de Doumbouya. Malgré des objectifs élevés, la mise en œuvre de ces politiques a été entachée de corruption, de favoritisme et de gouvernance inadéquate, sapant ainsi le développement équitable. Cette analyse explore ces incohérences, en contrastant la rhétorique du progrès avec les résultats concrets, mettant en lumière la déconnexion entre les aspirations de l’État et ses réalisations tangibles.

Ces incohérences révèlent un écart entre l’ambition et l’action, nécessitant une évaluation détaillée des domaines clés tels que le recrutement dans la fonction publique, la santé, le développement des infrastructures, l’autonomisation économique, les initiatives d’unité nationale, la corruption et la gouvernance, ainsi que la gestion des ressources.

  1. Recrutement dans la Fonction Publique

Le colonel Doumbouya a souligné le récent recrutement dans la fonction publique, présenté comme une réalisation majeure visant à renforcer le secteur public. Cependant, ce processus a été entaché par des allégations importantes de fraude et de favoritisme. Des rapports indiquent une corruption généralisée et un népotisme qui contredisent l’affirmation du gouvernement quant à la transparence et à l’égalité des chances. Cela sape la légitimité de l’objectif affiché d’assurer l’équité dans les services publics et l’emploi, nuisant ainsi à la confiance du public dans la capacité du gouvernement à gérer les ressources et les opportunités de manière impartiale.

  1. Secteur de la Santé et Monopoles de Distribution

Le discours a également mis en avant les progrès dans le secteur de la santé, tels que la construction et la rénovation des centres de santé et les efforts pour garantir l’accès universel aux soins. En pratique, cependant, la monopolisation des distributions médicales est devenue un problème majeur. Le gouvernement a été critiqué pour favoriser certaines pharmacies tout en fermant des vendeurs de médicaments concurrents au marché de Madina. La destruction et la confiscation des marchandises de ces vendeurs ont créé une rareté artificielle des médicaments essentiels, entraînant une hausse des prix et un manque d’accès pour la population. Ces actions contredisent fortement le discours du gouvernement sur l’amélioration de l’accessibilité aux soins de santé et la fourniture de services de qualité à tous les citoyens.

  1. Développement des Infrastructures, Expulsions Forcées et Mauvaise Construction des Routes

Le colonel Doumbouya a beaucoup insisté sur les projets d’infrastructures, y compris la construction et la réhabilitation de routes pour améliorer la connectivité rurale et la croissance économique. Toutefois, ces projets se sont souvent faits au détriment des communautés vulnérables. De nombreux cas ont été signalés où les maisons de paysans pauvres ont été démolies — souvent sans compensation adéquate — sous prétexte de construction de nouvelles routes. Ces démolitions ont déplacé des familles sans leur offrir d’alternatives de relogement appropriées, soulignant un écart significatif entre la rhétorique politique et sa mise en œuvre.

De plus, la qualité même des infrastructures est médiocre, en particulier les routes construites par des entrepreneurs chinois dans plusieurs préfectures. Ces routes sont souvent mal construites, avec des fossés ouverts devant des résidences partiellement démolies. Ces conditions ont créé des dangers importants pour la sécurité, entraînant de nombreux accidents et victimes, notamment parmi les piétons. Les fossés ouverts et les constructions incomplètes ont causé de graves perturbations dans les communautés locales, avec des risques accrus de blessures, de dommages matériels, voire de pertes en vies humaines. Ces pratiques de construction inadéquates révèlent un manque de supervision et de responsabilité dans l’exécution des projets d’infrastructure, résultant en des infrastructures qui, non seulement ne profitent pas à la population locale, mais mettent activement en danger leur bien-être. Alors que Doumbouya a présenté ces actions comme étant pour le bien commun, la réalité est que ces expulsions forcées et infrastructures défectueuses ont accru les tensions sociales et creusé les disparités entre les élites urbaines et les communautés rurales.

  1. Autonomisation Économique et Initiatives en faveur des Femmes

La création de l’Agence nationale pour l’autonomisation des femmes et du Fonds de soutien à l’entrepreneuriat féminin ont été des éléments importants du discours de Doumbouya, visant à renforcer la contribution économique des femmes. Malgré ces initiatives, de nombreuses entreprises dirigées par des femmes font face à des obstacles pour accéder aux fonds promis en raison de la bureaucratie et du favoritisme. De plus, ces initiatives sont limitées dans leur portée et leur couverture, ne bénéficiant qu’à une minorité, tandis que de nombreuses autres en sont exclues, échouant ainsi à produire des améliorations socio-économiques généralisées. Cette incohérence entre la politique et sa mise en œuvre sape l’objectif affiché du gouvernement d’améliorer l’autonomie des femmes et leur rôle dans le développement économique.

  1. Projets de Développement Communautaire et Promesses Non Tenues

Le discours a mentionné divers projets de développement communautaire et des collaborations avec des ONG pour améliorer les conditions des groupes marginalisés, en particulier dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Cependant, beaucoup de ces projets n’ont pas été pleinement mis en œuvre ou ont connu de longs retards. Par exemple, les promesses d’améliorer les infrastructures de santé et d’éducation en milieu rural ne se sont pas concrétisées pour de nombreuses communautés, les laissant sans services de base. Ces promesses non tenues contribuent à un désenchantement généralisé vis-à-vis de l’administration actuelle, en particulier dans les zones rurales où les attentes de changement étaient initialement élevées.

  1. Unité Nationale et Efforts de Réconciliation

Le colonel Doumbouya a mis en avant les efforts de son administration pour l’unité nationale, en faisant référence aux Assises nationales et aux Journées de concertation organisées pour restaurer l’espoir et créer des ponts entre les différents groupes du pays. Malgré cette rhétorique, les tensions entre les différents groupes ethniques et sociaux persistent. L’approche du gouvernement sur certaines questions, y compris le traitement préférentiel dans les projets de développement et les nominations politiques, a exacerbé ces divisions plutôt que de favoriser la réconciliation. La promesse d’unité nationale apparaît largement symbolique, avec peu d’impact tangible sur l’amélioration du climat socio-politique.

  1. Corruption et Gouvernance

Le Président a fait de fortes déclarations sur la lutte contre la corruption, soulignant son engagement envers la justice et la responsabilité. Malgré ces déclarations, la corruption reste endémique, avec de nombreux hauts fonctionnaires accusés de corruption qui échappent à la justice. La poursuite sélective des individus en fonction de leurs affiliations politiques a sapé la crédibilité de la campagne anti-corruption. De plus, les arrestations politiquement motivées et la répression des dissidents indiquent que l’engagement du gouvernement envers la justice et la bonne gouvernance est hautement sélectif et intéressé, ne parvenant pas à instaurer la confiance du peuple dans l’intégrité des institutions publiques.

  1. Le Projet Simandou et la Gestion des Ressources

Le colonel Doumbouya a présenté le projet minier de Simandou comme un phare d’espoir pour la prospérité économique future du pays. Bien que le projet soit prometteur en termes de génération de revenus et d’emplois potentiels, des inquiétudes subsistent quant à la répartition équitable de ses bénéfices. Le manque de transparence dans les négociations de contrats et l’absence de réinvestissement des revenus dans les communautés locales ont suscité des doutes quant à la possibilité pour le citoyen moyen de bénéficier de ces ressources naturelles. La dépendance vis-à-vis des investisseurs étrangers, combinée à l’exclusion des parties prenantes locales des processus décisionnels, a contribué à la perception que le projet Simandou bénéficiera principalement à une élite restreinte et aux acteurs internationaux.

Conclusion

Bien que le discours du colonel Doumbouya brosse un tableau inspirant de l’unité nationale, du développement et de l’autonomisation, la réalité sur le terrain révèle un contraste saisissant. Bon nombre des initiatives mises en avant sont soit mises en œuvre de manière sélective, insuffisamment financées, ou échouent à atteindre ceux qui en ont le plus besoin. La corruption, les infrastructures défectueuses, les violations des droits de l’homme et la mauvaise gestion économique continuent d’affliger la Guinée, sapant l’engagement professé de l’administration en faveur du progrès.

L’écart entre la rhétorique et l’action est considérable, indiquant que, bien que le gouvernement parle d’inclusivité et de progrès, il privilégie souvent des projets et des politiques qui profitent aux puissants, laissant les groupes marginalisés supporter le poids des difficultés économiques et de l’instabilité sociale. Cette analyse souligne la nécessité d’une réforme authentique qui dépasse les discours et s’attaque aux problèmes systémiques de la Guinée de manière transparente, équitable et inclusive.

Par Thienor M. Diallo, enseignant-chercheur UGLC-Sonfonia Conakry

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