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Transition en Guinée : entre le poids du passé et l’appel du futur

Croupir sous le poids du passé ou répondre à l’appel du futur ? Lamarana-Petty Diallo pose la question. Tout en décryptant la part des lanceurs d’alerte, des louangeurs, des commis-voyageurs et des politiciens à la veste réversible. 

Il y a des droits et devoirs qu’on pourrait se donner. Mais il y en a que vous imposent l’histoire, les hommes et le destin auxquels on ne saurait se soustraire. Le colonel Doumbouya, le Comité national du rassemblement pour le développement (Cnrd) et tous les Guinéens sont face à de tels droits et devoirs.

Pour les accomplir, les acteurs de la transition devraient éviter un certain nombre d’écueils et de pièges liés à l’exercice du pouvoir.  Mais, certains compatriotes tentent de faire croire dans leurs éloges, leurs habituelles éloges de Sékou Touré à Alpha Condé, que le Colonel Doumbouya serait l’homme providentiel venu des cieux pour sauver la Guinée. Pourtant, le président de la transition est un homme comme ses prédécesseurs. Mais, il a hérité du lourd poids que ces derniers ont fait peser sur les frêles épaules du peuple de Guinée depuis soixante-quatre ans (1958-2022). Dès lors, il est face à un peuple qui a trop attendu et qui voit le messie en chaque nouveau visage qui promet d’alléger son fardeau.

Le devoir lui revient de se montrer à la hauteur des attentes en identifiant les enjeux et les défis et en évitant les pièges que pourraient lui tendre certains de nos compatriotes. Nous essayerons d’analyser les différentes facettes que pourraient présenter les uns et les autres.

Les lanceurs d’alerte

Lamarana Petty Diallo est professeur de Lettre-histoire hors classe en classe en France.

Il s’agit de Guinéens qui ont un regard critique, constructif et prospectif qui ne courent ni après la pitance ni derrière quelqu’un. Cette première catégorie, souvent incomprise, est composée de cadres, d’intellectuels de l’intérieur et de l’étranger, d’acteurs de la société civile, d’analystes politiques, de citoyens de toute catégorie socioprofessionnelle soucieux du devenir de notre pays.

Perçues, par bien de politiques, comme des adversaires, des empêcheurs que ça tourne rond, ces personnes œuvrent pour le changement des mentalités. Souvent oubliées de toutes nouvelles autorités, craintes par les opposants, la Guinée est leur seul parti-pris. On pourrait les qualifier de militants républicains à cause de leur constance. Le regard tourné vers le futur, l’histoire leur donne souvent raison.

Les louangeurs : Les  « Won nabé »

A l’opposée des premiers, les éternels louangeurs : les « Won nabé ». (On est là, en langue soussou) sont tournés vers le passé. S’y retrouvent, les anciens membres de comités de soutien de tous les pouvoirs successifs, des prétendus responsables de plateformes de la société civile, des opportunistes sans envergure ni emploi. Les systèmes changent. Pas eux.

Leur philosophie, « tu nous trouveras ici » est aussi néfaste que leurs objectifs : se délester de la soupière ; faire échouer toute velléité de changement. Les autorités actuelles ne sont pas moins leur cible. Applaudissant à tout, souvent adulées par les acteurs politiques allergiques à l’esprit critique, de telles personnes ont une grande part de responsabilité dans tous les échecs des systèmes antérieurs.

Jamais à court d’idées et de stratagèmes, elles perçoivent le 5 septembre 2021 comme une nouvelle aubaine qui ne doit être loupée pour rien au monde. La plupart se font passer en détenteurs de l’applaudimètre de la popularité du colonel et du Cnrd. Renaissant de leurs cendres à chaque fois qu’émerge un espoir de renouveau, ils commencent à se faire entendre par-ci, par-là. Ils pourraient constituer une menace pour la transition.

Leur devise se résume en ces termes : Le Cnrd notre boussole, le colonel Doumbouya notre opportunité. Aux orties, Cnrd, Doumbouya, la transition, le peuple de Guinée. Vaille que vaille, nous atteindrons notre objectif. Mais il y en bien d’autres à l’affût.

Les commis-voyageurs : Les « Mèn ari; les M’bara na »

Ils proviennent d’horizons diverses. Constituées majoritairement de chômeurs, de sans-emplois, de faux diplômés vivant à l’étranger, ils débarquent au moindre espoir de changement. D’où leur sobriquet : « Mèn ari en pular ; M’Bara na, en malinké ».

A Conakry depuis septembre 2021, aussi affairés qu’une mère -poule qui a perdu un poussin, ils ne passent pas inaperçus. Se réveillant avant les moustiques pour se rendre dans le secteur administratif de Kaloum, ils frappent à toutes les portes à la recherche d’un point de chute. Pourtant, leur Curriculum Vitae qui ferait penser à un mémorandum tant il est volumineux, n’est que du faux, du copier-coller, du bricolage, du vol de titres académiques et administratifs.

Ces personnes que j’avais appelées à l’époque du CNDD des commis-voyageurs (l’article  est disponible dans les réseaux sociaux), s’étaient érigées en conseillers de Dadis et autres caciques de la junte. Ils les perdirent en leur faisant miroiter l’illusion que la transition se métamorphoserait sans heurts ni contestation en présidence. Ils ont vite rempilé quand Dadis est tombé en disgrâce après les évènements du 28 septembre 2009.

Quand « l’enfant de Koulé » prit la route de l’exil, ils empruntèrent le chemin du retour. Pourtant que n’avions-nous écrit ? On pourrait dire que ces compatriotes ne donnent pas une bonne image de la diaspora guinéenne. La dernière catégorie n’est pas moins problématique.

Les politiciens à la veste réversible

Certains politiciens sont d’habiles retourneurs de veste. Ce sont des versatiles, des doubles-faces quêteurs de postes dans tous les systèmesLeur préoccupation quotidienne : comment se faire flasher par le Cnrd.

On les voit partout. Qui, dans un ministère. Qui, dans le bureau d’un cousin ayant bénéficié de la nomination du Cnrd. Ils courent derrière les médias pour y exhiber leur théorie de la transition, sa   durée,  ce qu’elle devrait être ou pas.  A bien les écouter, on pourrait penser qu’ils ont un besoin moral d’exorciser leur mal : celui qu’ils ont causé à la Guinée depuis l’indépendance.

Ces politiciens d’une autre époque mais qui perdurent chez nous, bardés de diplômes n’ont fréquenté ni Gamal, ni Sonfonia. Encore moins une université privée.  Se donnant des titres de docteurs, professeurs, experts en ceci ou cela, ils déclarent partout où ils passent qu’ils sont prêts à collaborer, à conseiller le colonel et le Cnrd.

Ils ont une autre tactique qui consiste à s’opposer à leurs collègues fidèles à leur ligne politique et qui sont réellement implantés. Ils font prévaloir l’ethnie là où il est question de République et mettent en pratique la théorie du : « it’s me or the chaos », c’est moi ou le chaos. La migration politique qui est leur marque de fabrique justifie leur longévité. De telles personnes risquent d’embrouiller la transition et tympaniser le peuple pour longtemps d’autant plus qu’elles n’ont pas grand-chose à perdre.

Tout cela montre que le colonel Doumbouya, le Cnrd et nous tous devrions faire le distinguo entre les concitoyens qui critiquent de manière constructive les actes posés et ceux qui veulent profiter du moment. C’est une question vitale pour le pays.

L’échec de la transition ne saurait être envisagé

La transition en cours pourrait être le dernier rempart. Celui d’un pays, le nôtre, qui a souvent été au bord du précipice. D’une nation qui a souvent frôlé le pire. D’un État gangrené par les divisions ethniques, les pouvoirs claniques et personnels. Nous disons, si les autres ont échoué, le colonel Doumbouya et le Cnrd n’ont pas ce droit.

La peur de nouveaux ratages, la hantise de tant de rêves, d’espoirs et de rendez-vous manqués sont dans l’esprit de tout guinéen patriote. Autant de crainte de retour aux pratiques de nos dirigeants d’hier qui se sont souvent éloignés de leur idéal de départ.

La transition devrait mettre fin aux barrières dressées entre les Guinéens en comblant le fossé des clivages. Qui pourrait nier que ceux qui ont tenu les rênes du pouvoir de 1958 à 2021 ont souvent failli à leur devoir ? Pourtant, à chaque fin de règne, le Guinéen ne perd pas espoir : il se met à rêver de lendemains meilleurs.

Qui ne se souvient de l’avènement et de la fin des systèmes politiques qui ont jalonné notre histoire et des liesses populaires qui les ont accueillis ? Mais qui saurait oublier les ratages accumulés ; le sang et les larmes versées ; les biens pillés, les citoyens humiliés jusque dans leur lit ?

Le 5 septembre 2021 a reproduit le même scénario de clameur de la Première à la Cinquième République. Il ne doit pas enfanter les désillusions du passé. Pour ce faire, faudrait-il veiller autant sur le passé que le présent pour ne pas fausser le futur.  Et pour cause ?

Les Guinéens comptent sur la transition

Les Guinéens attendent la réussite de la transition. Pour cette raison, ils applaudissent, voire adulent, les acteurs du changement. Ces derniers devront faire en sorte que cela continue.

La transition est l’espoir des jeunes générations et des Guinéens dans leur ensemble.  Nous pouvons la réussir car nous sommes un peuple fier, vaillant résilient jamais soumis, ni dupe, ni manipulable. Nous formons une nation pacifique même si poussés à bout nous sommes capables de nous transformer en une armée désobéissante : le 28 septembre 2009 en est l’illustration. Pour les plus anciens, juillet 1977.

Nous n’avons pas le droit de rater cette énième transition. Notre renaissance ne doit pas être manquée. Certes, nous savons qu’il y a parmi nous des personnes comparables à un poisson qui échoue dans l’eau et espère réussir dans le désert. A les suivre, elles nous conduiront dans l’impasse.

Les acteurs de la transition devraient alors se tourner vers ceux qui ont un idéal, une constance humaine et politique. Les amoureux de la République, les patriotes, tout simplement. Ceux qui agissent et secouent leurs méninges mais aussi leurs relations pour l’accompagnement de la transition.

Les atouts sont là : jeunesse assoiffée de liberté et de démocratie. Des responsables politiques – du moins certains d’entre-eux -, et une majorité d’acteurs de la vie nationale ouverts au dialogue.

La transition, c’est nous tous. Certes, elle porte son nom. Cependant,  si transitoire soit-elle, elle pourrait faire l’histoire.  Nous devrions tous, en citoyens responsables, identifier et mesurer à leur juste valeur les enjeux et les défis afin de tracer les perspectives dans leur contenu et limite.

Terminons en rappelant ce que me disait ma chère maman au coin du feu : La jeunesse est un atout. La longévité relève de la bénédiction. Qui sait profiter de la première pourra fructifier la seconde et bénéficier des retombées. Un chef, toute raison gardée, doit pouvoir écouter les talons rugueux, les bouches dégarnies, les têtes remplies, non pas de verbe en soi, mais de connaissances, d’expériences et de sagesse. Si tel se faisait, difficilement le reste échouerait.

 Par Lamarana Petty Diallo
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