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Les démocraties africaines face au spectre des années 70 : le retour du pouvoir militaire

Professeur de Lettres-histoires hors classe et acteur de changement de comportement, le guinéo-français Lamarana-Petty Diallo, analyse la tentation de la putsch-thérapie sur le continent africain entant que remède de l’avorton démocratique pondu par des pouvoirs kleptocrates et sanguinaires du genre Alpha Condé. Et met l’accent sur la nécessité d’un agenda de transition raisonnable.

Des changements politiques importants ont rythmé les années 1970.  Opérés au double motif de mettre fin aux dictatures naissantes des pouvoirs civils et l’instauration de la démocratie, ces bouleversements ont marqué près de trois décennies l’histoire politique africaine. Les jeunes générations devraient être éclairées sur les heurs et malheurs de nos systèmes politiques.

L’Afrique postcoloniale politiquement divisée entre leaders nationalistes, syndicalistes, marxistes- léninistes ouvertement antioccidentaux et pro-métropolitains à visage gaulliste n’avait pas de grande chance de réaliser son idéal de liberté et de souveraineté. En tout cas, le rêve fut de courte durée.

A la tête de micro-États qu’ils érigent en pré-carrés, la majeure partie des chefs d’États se fourvoient très tôt dans le superflu en laissant l’essentiel de côté. La zone francophone est l’illustration éloquente de ce qui sera appelée la balkanisation de l’Afrique et le rêve avorté des indépendances.

Les pouvoirs personnels, sources de bouleversements

S’érigeant en pères de la nation, en chefs ou responsables suprêmes, beaucoup de chefs d’États se prirent très tôt en demi-dieux. Devenus présidents-potentats, ils décrètent leur immortalité, celle de leur pouvoir et de leur parti politique. Certains iront jusqu’à dissoudre l’État dans leur parti en créant le Parti-État.

Cependant, la toute-puissance des uns et des autres ne résiste pas très longtemps. Le temps du pouvoir qu’on crût éternel pris le raccourci et l’armée ne se fit pas attendre pour venir à la rescousse. Toute l’Afrique, à quelques exceptions près, emprunte la voie des pouvoirs en treillis, kaki et brodequins. Cependant, les raisons internes ne suffisent pas à expliquer la prise de pouvoir par les hommes en uniforme.

 La politique postcoloniale

Les pouvoirs militaires résultent de facteurs politiques, socio-économiques endogènes et de facteurs exogènes. Les premiers sont liés aux échecs des régimes civils (déjà évoqués). Les seconds relèvent de la politique de l’ancienne métropole qui serait moins soucieuse de la réussite des nouveaux États et plus attachée à ses intérêts postcoloniaux.

La politique dite néocoloniale qui consiste à ne pas perdre l’Afrique conduit à toutes sortes de stratégies aux méthodes abruptes, extra-étatiques, non officielles opérées par des mains noires ou de baroudeurs de tout acabit.  C’est elle qui a donné naissance à un néologisme bien connue : La France-Afrique qui, par contraction devient « FrançAfrique ».

La FrançAfrique sera pilotée par Jacques Foccart, secrétaire général aux Affaires Africaines et Malgache de 1960 à 1974 sous la Ve République.  Les historiens le décrivent comme un sombre personnage qui décide tout seul, une décennie durant, du devenir de tout un continent et de millions d’habitants.

A cette fin, il tisse une vraie toile d’araignée, procède à une surveillance absolue de tous les dirigeants. Sa main invisible sera derrière tout complot réel ou supposé d’où qu’il se passe. Ce « Monsieur-Afrique », le premier du genre- il y en aura bien d’autres- initiera et entretiendra un réseau puissant et occulte d’un bout à l’autre du continent.

Plusieurs présidents, dictateurs ou jeunes espoirs tentés de se rapprocher du modèle soviétique (nous sommes en période de guerre froide) en tournant le dos à l’Occident tomberont dans ses filets. Thomas Sankara, Mariem Ngouabi sont souvent cités en exemple. Les coups d’État militaires, devenus la règle, définiront longtemps les relations entre l’ex-métropole et les nouveaux États africains. L’envergure des incidences se mesure aisément.

 De la caserne au palais : l’espoir dans la rue

Les premiers renversements des pouvoirs civils retentissent à peine cinq ans après les clameurs populaires qui ont célébré le départ du colonisateur. Ils vont conduire, sergents, capitaines et autres généraux de la caserne au pouvoir présidentiel. Ceux-là bénéficieront des mêmes hourras qui avaient accompagné le départ de l’ex-colonisateur.  Cette nouvelle forme de pouvoir plantera fusil ou baïonnette au cœur de tous les drapeaux nationaux.

Le Togo ouvre la voie. En janvier 1963, Sylvanius Olympio, père de l’indépendance est renversé, puis assassiné lors d’un coup d’État armé. Remplacé par Nicolas Grunitzky, celui-ci est renversé à son tour par le sergent Étienne Eyadéma Gnassingbé, en janvier 1967.

Depuis, les putschs se succèdent sans fin. Les uns sont rocambolesques, (un putsch cachant un autre) alors que d’autres sont atroces et sanglants : Liberia (avril 1980), Burkina Faso (octobre 1985), Guinée-Bissau (mars 2009).

En résumé, les coups d’États rythmeront la vie politique africaine de 1963 aux années 1990. On en dénombre plus de 205 dont une centaine aurait réussi. Plus d’une cinquantaine ont eu lieu dans la partie francophone. Mais le prétexte du retour à l’ordre garantit-il l’instauration de système démocratique ?

 Les limites des systèmes militaires

S’il est vrai que les dictatures civiles ont été freinées un peu partout, il est tout aussi fondé de dire que les militaires au pouvoir se sont souvent transformés en nouveaux potentats. Ils deviennent indétrônables car disposant d’un atout dont ne disposaient pas ceux qu’ils avaient fait tomber : la force de la baïonnette, l’usage de la gâchette, parfois trop facile.

Ce qui paraissait être un avantage se confronte assez vite en un double désavantage. Les désenchantements populaires qui enfantent d’autres coups d’États. Les mésententes au sein des casernes, les frustrations de colonels ou de généraux dirigés par des capitaines, si ce n’est des sergents, firent le reste

Les pouvoirs militaires montrent à leur tour leur limite. Souvent mal préparés, sans orientation politique définie, ni vision à long terme, ceux qui prétendaient réussir où les civils ont échoué se montrèrent tout aussi désarmés face aux problèmes du continent.

Le temps du répit et l’espoir d’une renaissance démocratique avortée finiront par lasser les populations qui se vont retourner contre leurs sauveurs d’hier. C’est par des slogans : « A bas l’armée au pouvoir », « A bas tel ou tel général », que les palais présidentiels échappèrent à certains. Cependant, d’autres seront sauvés en saisissant une nouvelle opportunité.

 Nouvel avorton démocratique

Du 19 au 21 juin 1990, François Mitterrand, réunit à la Baule (France) 37 chefs d’États (majoritairement militaires, vous l’aurez compris) des pays africains dits du « Champ », c’est à dire de la Francophonie. Il les invite (voire intime) de s’ouvrir à la démocratie.

Dès le retour au pays, une politique de Conférence nationale est mise en place. Seuls certains pays comme la Guinée ne s’y soumettent pas. Ces assises où chacun dénonçait chacun ne produisent ni de nouveaux chefs vertueux ni de nouvelles espérances. Elles enfantent en revanche, le multipartisme galopant. Voyons plutôt : on en dénombre 153 en Côte-d’Ivoire ; 208 au Tchad; 258 au Sénégal ; près de 200 en Guinée ; 477 en RDC ; 305 au Cameroun, etc.

Cette floraison plus synonyme d’anarchie que de maturité politique va permettre à ceux qui ont régné sans partage des décennies durant de devenir des présidents démocratiquement élus à vie. Ils vont instaurer le quinquennat. Lequel va se métamorphoser en sextennat, en décennat. Voire plus.

Sans conférence nationale, la Guinée mit à profit cette nouvelle découverte, la seule dont ont été capables nos dirigeants : rajeunir de trente ans des octogénaires pour les rendre immortels de leur vivant. Ainsi connaitrons-nous les élections de 1993, 1998, 2003. Le troisième mandat de 2020 n’est que la progéniture lointaine de 1993.

Troquer l’uniforme contre des grands boubous satinés et brodés ne suffit pas pour asseoir la démocratie. Le non-respect des accords de la Baule, la manipulation des résolutions des conférences nationales, des constitutions qui limitaient les mandats faussèrent la démocratie africaine. Ainsi, les portes du palais s’ouvrent-elles à nouveau aux hommes en uniforme.

La tentation de la putsch-thérapie

C’est le retour, devenu presque traditionnel, au pouvoir des hommes en uniforme, que j’appelle putsch-thérapie. Ce retour s’explique par les facteurs internes évoqués plus haut mais aussi par d’autres, comme la percée du terrorisme dans la zone sahélo-saharien-ne.

Les démocraties africaines, nous l’avons vu, se sont rarement bien portées. On pourrait dire qu’elles ont souvent été malades de leurs dirigeants et de leurs oppositions. Elles ont toujours pris la ciguë à la place de la quinine. Prenant les peuples pour des troupeaux au mépris de ce qu’ils sont : des entités humaines, souveraines, capables d’actions et de réactions, elles résistent rarement aux soubresauts.

Les oppositions morcelées, aux représentants nombrilistes et aux comportements infantiles sont souvent plus désespérantes. Voyons chez nous. Les paroles d’autoproclamés leaders sont aussi perméables que des filets de pêche.  Aussi volatiles que les promesses de l’orage qui gronde à l’est pour se déverser au couchant. Sortir du CPP pour créer le FPP.  Si cela n’est pas faire du faux pas, qu’on nous dise c’est quoi.

L’une des raisons du retour cyclique de l’armée se situe à ces différents niveaux : États instables, oppositions désunies, pouvoirs inamovibles. Dès lors, les peuples tant dupés ont tendance à tenter ce qu’ils n’avaient pas connu ou ce qu’ils considèrent passager. L’armée s’y engouffre en toute logique.

En outre, le pouvoir armé se prévaut d’une philosophe politique qui met en avant son caractère caractérise passage, temporel, conjoncturel convenant à une situation de crise. C’est vouloir outrepasser cette philosophie pour se perpétuer qui génère le conflit. La Guinée en a connu en septembre 2009 quand les citoyens ont majoritairement désavoué les velléités de la junte dirigée par le Conseil national de la démocratie et du développement (Cndd) de s’agripper au pouvoir. On sait ce qui en a résulté.

Nécessité d’une transition démocratique raisonnable

L’une des questions qui se pose, c’est de savoir si le putsch peut se substituer à une concurrence (politique) saine pour promouvoir une alternance pacifique et, in fine, consolider la démocratie ? Cette problématique d’Alexe Kitio Kenfack tourne autour de l’institutionnel et de la contingence. Autrement dit, le nécessaire est-il légitime le temps d’une crise, d’un passage à vide ou peut-il s’inscrire dans la pérennité.

En politique, si la force ne fait pas la loi, le consensus peut être la règle. Partant, le coup de force qui conduit au pouvoir, salué pour son caractère salvateur, peut mener à une transition démocratique. Les autorités guinéennes du 5 septembre 2021 semblent avoir, de toute évidence, intégré la nature de la transition, sa mission ou prérogatives en promettant de s’en tenir à leur programme de restaurer l’État de droit : prélude à un système démocratique.

Les coups d’États ne tombent pas du ciel dirons-nous lapidairement. Ils émanent d’une situation souvent créée par les dirigeants en exercice. Pour les éviter, ceux qui ont en charge les États africains devraient mettre leur armée au service de la nation et non de la politique. L’armée est à la nation ce que la moelle épinière est à la vie. Reconnaitre ses droits et attributs en y alliant le respect des constitutions, la limitation des mandats mettrait les États à l’abri du retour cyclique des putschs.

Le cycle refermé, la démocratie prendrait racine. Les populations retrouveraient le chemin de la confiance en ses dirigeants et son armée. Le spectre des années 70 s’éloignerait. A jamais peut-être.

Par Lamarana Petty Diallo [email protected]  

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