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Avocats et magistrats font chorus avec Charles Wright

Le Procureur général de la république près la Cour d’appel de Conakry, Alphonse Charles Wright (ci-dessus) a été suspendu le 29 mars 2022 par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des droits de l’homme. Par la suite, il a été dépouillé de sa garde et de son véhicule de commandement. Vingt-quatre heures avant, il avait rappelé à l’ordre le colonel Balla Samoura, lui aussi, démis de ses fonctions avec effet immédiat, «pour non-respect des consignes relatives à la prise de parole publique», par le ministre-délégué chargé de la Défense nationale. L’acte a provoqué une levée de boucliers sans précédent dans l’histoire de la magistrature en Guinée. Retour sur cet événement qui secoue Dame Thémis.

Le procureur général Alphonse Charles Wright et le colonel Balla Samoura ont tous les deux été démis de leurs fonctions avec effet immédiat le 29 mars 2022. Que s’est-il passé ? Que reproche-t-on à M. Wright et au Colonel Samoura? A qui profite cette situation ? Ce sont là des questions qui se posent dans la cité.

Le déroulé des événements, selon l’Ordre des avocats

Les premières explications sont notées dans la déclaration du Conseil de l’Ordre des avocats de Guinée présidé par Me Djibril Kouyaté. Extraits. «Pendant qu’il était en réunion extraordinaire le mardi 29 mars 2022 à son siège, sis au palais de justice de la Cour d’Appel de Conakry, sous la présidence effective de Monsieur le Bâtonnier, le Conseil de l’Ordre des Avocats de Guinée a appris, à travers les réseaux sociaux, la suspension de Monsieur le Procureur Général près la Cour d’Appel de Conakry.

Les Avocats et magistrats en toge de tissu noir à grandes manches

Soucieux d’en savoir davantage et de connaître surtout les détails ou motivations de cette suspension, le Bâtonnier a dépêché deux membres du Conseil de l’Ordre afin de rencontrer le Procureur Général. Ils ont été désagréablement surpris de trouver dans son bureau trois officiers supérieurs de la police qui étaient venus, selon les déclarations de Monsieur Alphonse Charles Wright, venus lui demander de libérer immédiatement son bureau et de rendre les clés de ses véhicules de fonction.

Le Procureur Général a peut-être eu la chance d’échapper de justesse à une humiliation certaine, grâce à la présence des Membres du Conseil de l’Ordre qui ont décidé de discuter avec lui, en présence du Premier Président de la Cour d’Appel de Conakry, l’enlevant ainsi des mains de ceux qui agissaient sans titre ni droit.

Ces événements, qui font suite aux différentes sorties croisées du Procureur Général et du Haut Commandant de la Gendarmerie, Directeur de la Justice Militaire, indiquent sans doute que notre pays a encore du chemin à parcourir dans le cadre du respect de la légalité, de l’État de droit et de la démocratie.

En plus, depuis peu, des implications évidentes du Haut Commandant de la Gendarmerie Nationale dans des arrestations et détentions arbitraires ont été relevées. Le cas le plus récent concerne Dr Ibrahima Kalil Kaba, ex-Ministre des affaires étrangères, qui a été retenu pendant 48 heures entre les mains des hommes du Colonel Balla Samoura et privé de l’assistance de ses avocats sans information préalable du Procureur de la République compétent. Bien avant, le Barreau a noté avec amertume, l’expulsion inhumaine des occupants des domaines de l’Etat et ceux supposés l’être.

Aussi, au mépris des lois de la République et des procédures judiciaires en cours, la Direction du patrimoine bâti-public s’est servie des engins du bataillon de Génie-militaire pour détruire illégalement des édifices sur les domaines objet de litige entre l’Etat et des particuliers.

Ce triste constat laisse transparaître que la Justice n’est plus cette boussole qui devra orienter les actions des justiciables. Le Barreau de Guinée condamne les agissements du Colonel Balla Samoura qui a pris l’habitude de s’interférer directement dans les affaires judiciaires.

Le Barreau de Guinée, tout en dénonçant cette méthode rétrograde, musclée et humiliante contre le Procureur Général qui rabaisse la justice dans son entièreté, rappelle au Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Droits de l’Homme que son droit de suspendre un magistrat, pour une durée qui ne saurait excéder un (1) mois d’ailleurs, ne saurait occulter son obligation de veille pour que les magistrats ne souffrent d’aucune humiliation dans l’exercice de leur sacerdoce ou à l’occasion de cet exercice. Ainsi, rien ne peut justifier l’intervention de la force de l’ordre pour faire expulser manu militari de son bureau un Procureur Général comme si ce dernier fait déjà l’objet de poursuites consécutives à la commission d’une infraction.

Le Barreau de Guinée invite donc le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Droits de l’Homme à prendre toutes les mesures pour que cesse ce genre d’agissement qui n’honore pas la justice guinéenne mais, au contraire, garde le Peuple de Guinée dans la peur, sinon dans la stupeur.

Sans vouloir remettre en cause la relation de subordination qui lie le Ministre de la Justice au Procureur Général près la Cour d’appel de Conakry, le Barreau de Guinée déplore cependant que la suspension de ce dernier intervienne seulement qu’après la polémique née du rappel à l’ordre du Colonel Balla Samoura.»

Protestation des magistrats

Ce tohu-bohu né du rappel à l’ordre fait par le Procureur général Wright et de la réplique du Colonel Samoura par médias interposés, «au sujet de leurs compétences respectives», a fait réagir le Conseil d’Administration de l’Association des magistrats de Guinée, présidé par le juge Mohamed Diawara.

Dans un communiqué publié le 30 mars 2022, l’organisation a vivement protesté contre «ces agissements» du pouvoir exécutif. Elle «sollicite à cet effet et avec insistance que le Garde des Sceaux (…) à travers l’Inspection générale des services judiciaires, engage des investigations établissant la source et les auteurs de cet acte agressif contre l’institution judiciaire».

Pour l’organisation des magistrats de Guinée, «il n’est pas concevable, en effet, sans mandat, sans aucune instruction écrite d’une autorité légitime, que des officiers accompagnés d’agents de sécurité, s’introduisent dans le bureau d’un magistrat, dans le but déclaré par eux, de le déposséder de ses véhicules de fonction et lui enjoindre de libérer immédiatement son bureau».

Rappelant que ce communiqué n’a rien à voir avec la procédure annoncée par le ministre dans son arrêté de suspension de M. Wright, le Conseil d’administration note qu’il «ne méconnait nullement le droit que le ministre de la Justice tient des dispositions de la 054/CNT/2013 du 17 mai 2013 de prendre la mesure conservatoire de suspendre un magistrat, devant faire l’objet de poursuite disciplinaire devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Cependant, (il) regrette qu’en violation des dispositions de l’article 39 alinéa 9 de la loi susmentionnée, la suspension (de M. Wright), a été rendue publique par l’arrêté n°387/MJDH/CAB/SGG du 29  mars 2022 portant suspension du Procureur général près la Cour d’appel de Conakry, largement diffusé par la télévision nationale et par divers organes de presse et de médias».

L’organisation «espère que le ministère de la Justice prendra toutes les mesures tendant au règlement de cette affaire conformément à la loi ». Car, elle l’a souligné, «c’est bien dans l’exercice normal de sa mission que le Procureur Général a rappelé le Haut commandant de la gendarmerie nationale à la légalité». Dans tous les cas, l’organisation prévient qu’elle ne restera pas les bras croisés si le ministre n’agit pas conformément à ses exhortations.

La société civile s’en mêle

Au sein de la société civile, cet arrêté du ministre de la Justice est considéré par la Coordination nationale du Front national pour la défense de la constitution (FNDC) dirigé par Oumar Sylla alias Fonikè Manguè comme une décision «incongrue».

D’ailleurs, le FNDC a signé une déclaration pour rappeler que «le principe de la séparation des pouvoirs implique la distinction entre l’autorité administrative et celle judiciaire. Seul le parquet constitue l’autorité véritable de la police judiciaire. Cette différence, certains officiers de la gendarmerie font semblant de ne pas la reconnaître. Ils méprisent la loi, s’arrogent des pouvoirs qu’ils n’ont pas et portent atteinte aux principes de respect des droits de l’homme de notre République».

Tous ces soutiens sans équivoque indiquent que le magistrat Charles Wright mérite respect et considération dans l’exercice de sa profession. Ils dénoncent et démontent la décision de suspension «avec effet immédiat pour faute disciplinaire» du Procureur général près la Cour d’Appel de Conakry par le Garde des Sceaux. Et tous demandent que Charles Wright soit rétabli  dans ses fonctions et que soient par conséquent rétablis le droit et l’ordre à l’intérieur de la maison de Dame Thémis.

Si l’affaire Wright mobilise tant le monde des avocats, des magistrats, et de la société civile, c’est aussi à cause du fait que le 31 décembre 2021, le limogeage de la ministre de la Justice et des Droits de l’homme, la notaire Fatoumata Yarie Soumah, avait été ressenti comme le résultat d’un mal qui ronge l’administration judiciaire et que les nouvelles autorités du pays ont du mal à soigner. D’où la nécessité de demander aux experts en relations civilo-militaires d’aider la junte à faire en sorte que «force reste à la loi» dans tous actes que devra prendre le régime désormais.

Par Gordio Kane (in Le Populaire du 4 avril 2022)

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