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Oumar Kateb Yacine, à Mediaguinee : « le CNRD ne doit fléchir ni au diktat de l’extérieur et ni aux tentations du pouvoir »

Le coup de force ayant mis fin au régime du Pr Alpha Condé, le 5 septembre, marque toujours l’actualité et suscite des commentaires. La Guinée, dans une zone de turbulences, s’engage sur le chemin de la refonte si l’on se fie aux discours des nouveaux maîtres du pays. Mediaguinee, fidèle à sa vocation de toujours, à savoir bien informer ses lecteurs, a rencontré  Oumar Kateb Yacine de l’Institut Afrique Emergente, un think-tank citoyen. Dans cet entretien, l’ancien journaliste donne son avis d’analyste et d’observateur de la situation qui prévaut en Guinée avant d’ébaucher quelques pistes pour une transition réussie.

Mediaguinee : Votre réaction par rapport au coup d’Etat du 5 septembre ayant renversé le Président Alpha Condé?
Oumar Kateb Yacine : C’était prévisible, même si personnellement, je ne l’attendais pas ainsi. Tout est allé vite, car les poutres du système étaient pourries. Le président Alpha Condé a récolté ce qu’il a semé. Lui qui s’est battu sur le terrain politique cinq décennies durant, si l’on prend en compte ses années passées dans le militantisme au niveau de la FEANF, il a suivi des sirènes révisionnistes et a enjambé des cadavres pour s’octroyer un troisième mandat. Ainsi, il a renié les valeurs démocratiques et humaines pour lesquelles il s’est battu pendant de longues années. Il a suivi des thuriféraires, des flagorneurs, menteurs et voleurs des biens publics pour sortir par la fenêtre. C’est triste pour un intellectuel panafricaniste de son rang parce qu’il n’écoutait plus ses amis d’hier capables de lui dire la vérité ni la volonté de la majorité écrasante du peuple qui souhaitait une alternance en2020, contrairement à ce qu’il a cru ou on lui a fait croire. Aujourd’hui, c’est lui seul qui est en train de payer. Ceux qui l’ont poussé à cette aventure funeste, personne n’a eu le courage et la dignité de se constituer au moins en prisonnier pour lui manifester sa solidarité. Regardez l’ancien président de l’Assemblée nationale, Amadou Damaro Camara, un grand intellectuel ou Rabiatou Serah Diallo, figure de proue du syndicalisme africain, lors de leur rencontre avec la junte, ils ont plutôt plaidé la cause de leurs institutions respectives (l’Assemblée nationale et le Conseil Economique, Social, Environnemental et Culturel) parce qu’ils voulaient simplement rester dans le beurre. Quant à l’ancien Premier ministre qui priait ce jour la junte de ne pas traîner le Président Alpha Condé dans la boue, il a oublié que c’est lui d’abord qui a dit « Oui, oui et oui » à la Constitution de la IVème République avant même le référendum !  C’est vraiment dommage pour notre élite.

Oumar Kateb Yacine est un ancien journaliste. Membre de l’Institut Afrique Emergente

Comment expliquez-vous un tel virement de la part du Président Alpha Condé qui disait être le Mandela de la Guinée?
Je pense que M. Alpha Condé, dès le départ de son avènement au pouvoir, s’est fait entourer de cadres qui ne connaissent que l’argent facile, la délation, la corruption, le communautarisme. Ceux-ci, ayant détecté en lui certaines faiblesses (il ne connaissait ni la Guinée ni les Guinéens), l’ont manipulé jusqu’à le faire dérouter de son chemin comme ils l’ont fait à ses prédécesseurs afin d’assouvir leurs intérêts égoïstes. Mais, lui aussi, il a prêté le flanc. En fait, Alpha Condé n’a pas pu se départir de sa vision communiste apprise pendant  sa vie estudiantine. Il avait le relent d’autocrate. D’ailleurs, en Afrique, qui étaient ses amis parmi les chefs d’Etat ? C’étaient Sassou, Déby, Dos Santos, Alassane Ouattara. Ces derniers temps, en brouille avec certains de ses voisins, il est allé flirter avec d’autres « monarques » du côté de Djibouti, Erythrée, Ouganda et Angola. On dit qui se ressemble s’assemble. Alpha Condé s’est battu pour instaurer la démocratie en Guinée mais il n’était pas démocrate. La boulimie du pouvoir aidant, il a prêté le flanc aux flagorneurs. Ces derniers temps, la Guinée était devenue une prison à ciel ouvert. La vague de répression qu’a connue le pays depuis 2019, n’était comparable qu’à celle des années suivant l’agression du 22 novembre 1970. Outre les graves violations des droits de l’homme, la paupérisation, il y avait aussi, la politisation de l’administration à outrance, le communautarisme du débat politique.

Quel est votre avis sur les auteurs du putsch ?
D’abord, il faut saluer l’élan patriotique de ces jeunes soldats qui ont eu le courage d’aller cueillir M. Alpha Condé dans son palais, même s’il faut regretter les cas de morts de part et d’autre, ou les images du chef déchu ce 5 septembre. Ceux qui sont tombés ce jour-là, ils sont morts, chacun se disant défenseur d’une cause juste. Ce sont les aléas de la vie. La faute incombe aux  élites qui ont vendu des chimères au peuple en le suçant. Je ne suis pas un adepte de coups d’Etat. Mais celui du 5 septembre est un mal nécessaire. Il le fallait ainsi. Le lieutenant-colonel Mamadi Doumbouya et ses hommes ont été braves en abrégeant ainsi la souffrance du peuple. Le reste des forces de défense et de sécurité a eu la sagesse de les suivre. Les Guinéens dans l’ensemble les ont acclamés. Tant mieux ! Du moins pour le moment, les actes posés et les discours tenus par le Président du CNRD sont rassurants et porteurs d’espoir. Il (NDLR : Lieutenant-colonel Mamadi Doumbouya) a parlé de rupture avec l’ancien système qui tient ce pays en otage depuis 1958. Voilà le premier pas pour bâtir une Guinée nouvelle. Son discours d’un rassembleur, de celui qui écoute les aspirations du peuple doit être accompagné de plus de courage et de fermeté. Lui et ses compagnons doivent résister aux flagorneurs et autres démagogues. Les Guinéens doivent les accompagner en ne pensant qu’à la patrie. Comme il le dit lui-même, nous n’avons pas droit à l’erreur.

Que pensez-vous des sanctions de la CEDEAO envers la junte et le pays ?
La CEDEAO ne doit rien imposer à la Guinée. Lorsque l’ancien président s’est octroyé un mandat de plus en opérant un coup d’Etat constitutionnel, elle n’a rien dit. Au contraire, la plupart de ces chefs d’Etat étaient à Conakry le jour de son investiture. D’ailleurs la CEDEAO est un club de chefs d’Etat qui ne suivent pas les aspirations de nos peuples. Unilatéralement, en 2020 le pouvoir de Conakry a fermé les frontières avec cinq de ses voisins, violant ainsi le principe de la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace CEDEAO. La Guinée est un Etat souverain depuis 1958. Ils n’ont aucune leçon à nous donner en matière de liberté. Le peuple de Guinée s’est toujours battu dignement pour sa liberté. Les plus grands résistants contre la pénétration coloniale sont de ce pays. En 1958, nous avons opté pour notre indépendance.  La Guinée a une façade maritime de 300 km avec  deux ports opérationnels. Nous ne sommes pas de la zone CFA  pour qu’on dise qu’on va nous couper les vivres. Nous avons notre propre monnaie. Pour les nouvelles autorités, Il faut garantir la sécurité des investisseurs étrangers et les citoyens guinéens, privilégier les relations bilatérales avec tous les pays. Nous ne sommes pas un pays pauvre, seulement notre économie est mal gérée. C’est ce qu’il faut corriger. Le Guinéen doit se mettre au travail. L’Etat doit assurer la sécurité, créer un bon climat d’affaires, faire régner  l’ordre et la justice mettant ainsi fin à l’impunité. N’oubliez pas que la CEDEAO a été fondée par les présidents Sékou Touré de Guinée, Yakubu Gowon du Nigeria, Gnassingbé Eyadema du Togo et autres. En outre, l’armée guinéenne a beaucoup contribué au sein de l’ECOMOG, la force armée de la CEDEAO, lors des guerres civiles au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée Bissau dans les années 1990. Or, tout le monde connaît le rôle néfaste joué par l’axe Tripoli-Ouagadougou-Abidjan pendant les conflits armés au Libéria et en Sierra Leone. Pendant ce temps, notre pays subissait  le poids de la guerre dans ces pays voisins avec le déferlement des réfugiés par centaines de milliers.  L’histoire est têtue.  Donc,  nous ne devons pas craindre ou céder au chantage et nous précipiter puisqu’Alassane Ouattara et sa bande disent qu’il faut aller aux urnes dans six mois. Nous sommes un peuple suffisamment  responsable et mature face aux enjeux actuels. Les maux guinéens ne se résument pas aux élections. Ainsi, les businessmen de la crise n’ont pas leur place ici. La CEDEAO et l’Union Africaine ont eu une attitude lâche vis-à-vis de la Guinée. Si elles ne peuvent pas nous accompagner selon nos aspirations, nous leur disons haro !

Quelle transition pour la Guinée, selon vous ?
A mon avis, les militaires au pouvoir doivent nous dévoiler la composition du CNRD pour une question de transparence, élaborer une charte de transition et mettre en place tous les organes devant conduire la transition apaisée et inclusive. Cette dernière doit prendre quatre ans. Car la tâche est immense. Il faut faire le bilan de 63 ans d’indépendance. N’ayons pas peur de panser toutes nos plaies et en trouver le remède une fois pour toutes. Il faut la refondation de l’Etat pour instaurer des institutions fortes. Donc pas du copier-coller ou du bricolage, en tout cas si nous voulons réussir et éviter de tout recommencer un jour. Cela peut se faire pendant les trois premières années couronnées d’un référendum de la nouvelle Constitution devant mener à la Vème République ! La 4ème année sera consacrée aux préparatifs des élections générales. La Guinée doit pouvoir désormais organiser des élections générales une seule fois comme chez nos voisins sierras-léonais par exemple. Cela nous permettrait de faire une économie de temps et d’argent. En plus, les élections doivent revenir à l’Administration du Territoire. Avec les réformes à venir, on parviendra à dépolitiser l’administration publique. Dans ce cas, la digitalisation aidant, tenir des élections libres et transparentes ne sera pas de la mer à boire.

Quels conseils avez-vous à donner au Lieutenant-colonel Doumbouya ?
Dans son premier discours, il a fait allusion au capitaine Jerry Rawlings. Je pense que pour incarner l’esprit de ce grand homme d’Etat, bâtisseur du Ghana actuel qui fait la fierté des pays africains, Mamadi Doumbouya doit être courageux et ferme dans ses actions, un chef à l’écoute des aspirations légitimes de ses concitoyens. Lui et ses collègues ne doivent  fléchir ni au diktat de l’extérieur et ni aux tentations du pouvoir. Il l’a dit lui-même, « Le Guinéen respecte sa parole ». Le moment est venu pour le Guinéen de retrouver sa dignité.

Votre dernier mot
Je dirai à tous les compatriotes, qu’il est temps de nous mettre au travail. Aimons-nous les uns les autres, aimons notre patrie. Notre devise nous indique déjà le chemin : Travail-Justice-Solidarité.

Entretien réalisé par Amar

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