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La coercition militaire de la CEDEAO contre les Coups d’Etat militaires en Afrique de l’Ouest

La menace des coups de forces militaires sur la démocratie et sur la stabilité sous-régionale est très inquiétante. L’espace ouest africain vient d’enregistrer son quatrième putsch en l’espace de trois ans – Mali, Guinée, Burkina Faso et aujourd’hui, le Niger. A qui le tour se demande les observateurs ?

Ces dernières années, l’agenda de la CEDEAO est concentré sur la gestion des crises relatives au Changement Anticonstitutionnel de Gouvernement dans ses Etats membres, en lieu et place, des politiques communautaires de développements, d’environnements, de santés, de gestion des ressources naturelles et de son agenda extérieur à l’UA et à l’ONU et de ses relations bilatérales.

Sous le leadership du président nouvellement élu à la tête de la République Fédérale du Nigéria et à la présidence tournante de la CEDEAO, Bolla TINUBU, l’instance régionale s’engage à y faire face et à mettre un terme à cette entrave à la démocratie, à la sécurité et au développement pour impulser une nouvelle dynamique à l’organisation, axée entre autres sur l’économie, le développement, la protection et la promotion des droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit.

Pour réagir à la prise du pouvoir par les armes contre un président démocratiquement élu, le président Bazoum au Niger, la CEDEAO s’est réunie hier à Abuja (Nigéria) et a pris des mesures fortes, comparables à celles déjà imposées aux autorités militaires maliennes, guinéennes et burkinabés. Mais, cette fois ci, ces mesures vont au-delà des mesures politiques, diplomatiques, économiques et financières, elles englobement une dimension militaire, mais encore, plus importante, une nouvelle mesure jusque-là méconnue ou en tout cas peu utilisée dans la pratique de la gestion des crises régionales : la non reconnaissance des actes de la junte dans ses rapports avec les autres Etats.

Quelle est la faisabilité d’une intervention militaire de la CEDEAO dans un Etat membre ?

L’action coercitive militaire régionale n’emporte pas les mêmes portées politiques, juridiques, et géopolitiques en comparaison aux mesures coercitives non militaires qui n’exigent pas trop de formalité.

I – les entraves politiques d’une opération militaire de la CEDEAO au Niger

A l’image de l’ONU, la politique coercitive de la CEDEAO en matière de résolution des crises se déploie de manière progressive. Dans un premier temps, on privilégie le dialogue, la médiation. C’est dans ce cadre, que sont nommés des envoyés spéciaux, des médiateurs. En cas d’échec, elle peut entreprendre une action coercitive non militaire (sanction économique et financière). Dans un second temps, elle peut envisager le recours à la force. C’est-à-dire, une intervention militaire sur autorisation du Conseil de sécurité évidemment, si la situation l’exige.

Également, l’ensemble de ce dispositif peut être entrepris en même temps. L’organisation n’est pas tenue de prendre les mesures les moins contraignantes aux mesures plus fermes, de mesures politiques, diplomatiques et économiques aux mesures militaires. Elle a une large manœuvre pour mettre en œuvre son dispositif coercitif.

Une donnée fondamentale gouverne toutefois la politique coercitive en matière de sécurité collective. Il s’agit de la faisabilité de l’action entreprise. C’est d’ailleurs pour cette raison que de nombreuses crises sont passées aux oubliettes à l’ONU et à l’UA.  Quelle est la portée par exemple d’une décision du Conseil de sécurité imposant des sanctions à la Russie ou appelant à intervenir militairement dans ce pays, sans une réelle capacité d’action suite à son agression de l’Ukraine ? Dans cette situation l’organisation concernée met en avant la question de l’effectivité de ses décisions et sa crédibilité. Qu’en est-il des mesures envisagées par la CEDEAO contre les autorités nigériennes ?

Les mesures annoncées par la CEDEAO sont surprenantes et à la limite irréalistes. Imposer un ultimatum d’une semaine pour la CEDEAO et de 15 jours en ce qui concerne l’UA à la junte nigérienne pour dit-on le retour à l’ordre constitutionnel et la restauration du président déchu dans ses fonctions présidentielles nous parait démesurer. La pratique nous enseigne que même l’exigence d’un retour à l’ordre constitutionnel dans les six mois prévus par les mécanismes ne fait pas l’objet d’application. Pour exemple, les transitions guinéennes, maliennes se rapprochent de plus en plus à des mandats électifs sans que l’organisation arrive à trouver une solution rapide. De même, les Etats membres de la CEDEAO qui ne connaissent pas ou peu d’instabilité intentionnelle rencontrent des difficultés pour être dans les délais constitutionnels en ce qui concerne les échéances électorales dans leurs pays. Ainsi, un retour rapide à la situation normale dans les pays en crise n’est pas aisé, d’autant plus que la notion de retour à l’ordre constitutionnel est un concept non défini. S’agit-il de l’ordre antérieur ou d’un nouvel ordre constitutionnel ? S’agira-t-il d’une transition militaire ou civile ou une gestion conjointe entre civiles et militaires ? Ces questions demeurent sans réponses.

La décision la plus surprenante est celle relative à l’exigence de la restauration du président Bazoum dans ses fonctions. Cette mesure est incompréhensible, car dans la pratique, cette approche n’a jamais abouti, en dépit de nombreuses transitions auxquelles la CEDEAO est impliquée. Par ailleurs, il est difficile au regard du contexte actuel, d’imposer aux militaires une transition civile comme par le passé. La jurisprudence malienne est actuelle et peut servir encore d’exemple.

A coté des ses difficultés inhérentes aux organisations internationales et particulièrement à la gestion des crises, l’action de la CEDEAO doit surmonter des contraintes juridiques et géopolitiques.

II- les contraintes juridiques et géopolitiques

Les limites juridiques peuvent être évaluées à deux niveaux. Elles se mesurent dans les rapports entre la CEDEAO et les institutions internationales impliquées en matière de sécurité collective, à savoir l’UA et l’ONU. Dans ses relations avec ces dernières, l’instance sous-régionale se place dans une position de subordination. La légalité de son action en matière militaire est conditionnée par le respect de certains exigences et principes. Ces considérations tournent autour de la conformité des mesures militaires régionales à la Charte des Nations, au premier chef, son Chapitre VII qui encadre le recours à la force. Ainsi, l’action de la CEDEAO pour être légale doit impérativement obtenir une autorisation du Conseil de sécurité qui reste et demeure l’organe principal en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Au regard de rapport de forces, des contingences politiques et géopolitiques et des divisions des membres permanents du Conseil de sécurité sur les questions internationales, l’initiative d’une action coercitive militaire de la CEDEAO semble compromise. Il sera difficile pour l’organisation de fédérer un nombre significatif d’Etats aux intérêts divergents à sa cause.

Il connu de tous que les instances africaines sont fortement dépendantes de l’aide extérieur (économique et financière) et du soutien politique et diplomatique de ses partenaires : l’UA, l’UE, l’ONU et les grandes puissances. Sans soutien duquel, l’organisation sera limitée dans ses manœuvres.

L’environnement international avec la crise ukrainienne qui concentre toute l’attention des grandes puissances place les crises africaines au second plan.  Au niveau régional, la CEDEAO fait face à des nombreuses menaces, en dehors des coups d’Etat militaires. Compte tenu des capacités politiques, diplomatiques et financières réduites de l’organisation, elle éprouvera des difficultés énormes pour s’impliquer et gérer tant des crises et menaces. Une opération militaire dans ce contexte ne fera que l’exposer à ses détracteurs et ternira davantage son image. Les interventions extérieures font l’objet d’intense polémique et de contestation. Ainsi, le départ des forces étrangères multilatérales, bilatérales devient presque des exigences pour une partie de l’opinion africaine, en particulier dans la sous-région. Ignorer tous ses aspects et envisager une intervention militaire est suicidaire pour la CEDEAO. Sa crédibilité et l’avenir de l’organisation en dépend largement.

L’autre question qui nécessite une réponse est celle relative aux Etats contributeurs des troupes et la capacité de mobilisation et de déploiement logistique des forces de défense et de sécurité des Etats membres de la CEDEAO. En effet, le Nigéria leadeur historique et puissance régionale est confronté à des difficultés d’ordre sécuritaire interne. Abuja n’arrive pas à éradiquer le phénomène djihadiste sur son territoire. Sa participation et son éventuel commandement d’une force régionale ont des lourdes conséquences politiques intérieures pour les dirigeants nigérians.

Quant au Sénégal, qui est l’un des grands contributeurs des troupes dans les opérations de maintien de la paix, il est dans une année électorale cruciale et connait depuis quelques mois des tensions politiques. Il n’est pas évident également que ce pays participe à une coalition régionale pour s’en prendre à un pays, si on prend en compte des critiques en son encontre pour ses relations poussées avec la France, les Etats Unies et l’UE.

Pour ce qui est du Ghana, qui est un autre pays important au sein de la communauté et contributeur traditionnel de troupes pour les forces régionales, il est embourbé dans des difficultés économiques et financières.

Pour ce qui est de la Côte-d’Ivoire, leadeur des pays francophones, elle n’est pas un bon exemple pour exiger à un autre Etat le respect des principes démocratiques. Elle est rattrapée par son référendum qui a permis de faire sauter les verrous constitutionnels limitant les mandants présentiels. Cela à favoriser le maintien des autorités actuelles au pouvoir.

Quant à la France qui est présente militairement au Niger, elle ne s’aventurera pas à autoriser ses troupes à apporter un soutien technique et logistique à la CEDEAO, au risque de multiplier ses détracteurs et de mettre en péril ses accords de défense avec le Niger et influencer d’autres pays dans lesquels les forces françaises ont des bases militaires (Tchad, République Centre Africaine) à prendre de mesures similaires. La prudence sera de mise pour les autorités françaises dans ses prises de position sur la situation qui prévaut au Niger et au Sahel dans l’ensemble.

Le Niger pour finir est dans une position géopolitique qui tourne à son avantage, si on se base sur la configuration géographique du pays dans cette région instable. En effet, le pays fait frontière avec trois pays en transition (le Mali, le Burkina et le Tchad). C’est une donnée à ne pas négliger dans la résolution de la crise nigériane. Une alliance de survie peut se mettre en place et défier la CEDEAO dans ses actions. L’implication du président tchadien dans la gestion de la crise n’est pas anodine.

La voie diplomatique est la plus pertinente pour arriver à des solutions concertées et acceptées par tous. La CEDEAO doit rester ferme dans ses positions tout en facilitant un cadre de dialogue constructif pour des transitions apaisées aussi bien au Niger que dans les autres pays. Il est temps pour l’organisation de réadapter son mécanisme et de s’appliquer elle-même les principes démocratiques. Mais aussi et surtout d’appréhender les menaces dans toutes ses formes – corruption fraude électorale, réforme constitutionnelle pour se maintenir au pouvoir (« coup d’Etat constitutionnel » ou « coup d’Etat civil »), les putschs militaires, faute de quoi, elle est amenée à disparaitre ou du moins à perdre sa légitimité et par conséquence de compromettre sa crédibilité dans la mise en œuvre de sa diplomatie préventive et coercitive.

Amadou Lamarane Bah
Diplômé en Relations internationales
Doctorant en Droit Public à la FSJP/UCAD
Email : [email protected]

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