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Cellou Dalein Diallo dissèque la thématique de l’« Intelligence artificielle : transformer l’avenir de l’Afrique face aux défis mondiaux »

Le samedi 22 février 2025, le Sofitel Ivoire d’Abidjan a été le théâtre de la troisième édition du Forum International du Leadership et de la Prospective (ILF), un événement phare réunissant les esprits les plus aiguisés du continent. Organisé par le Centre d’Études Prospectives (CEP), ce rendez-vous stratégique s’est articulé autour d’un thème d’actualité : l’intelligence artificielle et son impact sur l’économie africaine.

Parmi les moments marquants, l’ouverture du Forum a été assurée par Cellou Dalein Diallo, leader de l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée) et vice-président de l’Internationale Libérale. Devant un public composé de personnalités influentes, de représentants du Réseau Libéral Africain et de nombreux étudiants, il a souligné l’urgence d’anticiper les transformations économiques induites par l’IA et d’adopter une approche proactive pour en faire un levier de développement.

Le CEP, fidèle à sa mission, s’impose une fois de plus comme un catalyseur de réflexion stratégique pour le continent. En favorisant un dialogue éclairé entre experts et décideurs, il contribue à doter l’Afrique des outils nécessaires pour faire face aux défis du XXIe siècle. Un forum riche en perspectives, où la prospective devient un atout majeur pour façonner l’avenir du continent.

Nous vous proposons son discours, en intégralité.

« Mesdames et Messieurs, distingués invités,

C’est un immense honneur pour moi de m’adresser à vous aujourd’hui dans le cadre de la troisième édition du Forum International du Leadership et de la Prospective (ILF), organisé par le Centre d’Études Prospectives (CEP). Cette édition, placée sous le thème « Intelligence Artificielle : Transformer l’avenir de l’Afrique face aux défis mondiaux » contribuera sans nul doute à identifier les voies et moyens pour l’Afrique de saisir les opportunités qu’offre cet outil révolutionnaire et de limiter les risques qu’il comporte pour nos sociétés. C’est le lieu de remercier et de féliciter le CEP pour son engagement résolu dans la réflexion stratégique à l’effet de favoriser la maîtrise et l’utilisation judicieuses de nouvelles technologies afin d’accélérer le processus de développement de notre continent. Je suis convaincu que son action contribuera à orienter nos États et à renforcer les capacités des citoyens et des entreprises.

L’intelligence artificielle (IA) est définie comme l’ensemble des technologies (numériques, mathématiques, statistiques et algorithmiques) capables d’imiter ou d’augmenter l’intelligence humaine grâce à des machines dotées de la capacité d’apprendre, de raisonner et de prendre des décisions. C’est ainsi que le Parlement européen associe à l’IA tout outil utilisé par une machine dans le but de « reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité ».

Loin d’être une révolution récente, l’intelligence artificielle est un concept ancien. Depuis les premières tentatives de modélisation du raisonnement humain dans les années 1950 jusqu’aux avancées spectaculaires des modèles d’apprentissage profond communément appelés Deep Learning, l’IA a évolué pour devenir une réalité incontournable, touchant tous les aspects de notre vie. La question essentielle n’est plus de savoir si l’Afrique doit s’engager dans cette révolution, mais comment elle peut la transformer en un moteur de croissance et de développement inclusif.

Dans le contexte africain, l’IA revêt une importance stratégique. Elle représente une opportunité inédite de propulser son développement, de répondre aux défis socio-économiques et de réaliser les ambitions de l’Agenda 2063. L’impact potentiel de l’IA sur les plateformes monétaires mobiles et la lutte contre la pauvreté est immense. Il est donc impératif pour l’Afrique d’identifier et d’exploiter optimalement ces opportunités en mettant en place des stratégies d’IA à l’échelle continentale, régionale et nationale.

Toutefois, les avantages que recèle l’IA ne doivent pas occulter les défis considérables qui lui sont inhérents, en particulier pour les pays africains. En effet, les questions liées aux violations des droits humains, à l’impact sur l’environnement et aux risques de transfert de technologies inadaptées aux contextes locaux restent posées. L’Afrique, loin d’être une consommatrice passive d’IA, devrait ambitionner de devenir une actrice clé, en développant et en adoptant des technologies qui correspondent au mieux à ses réalités et aspirations.

La Côte d’Ivoire, en tant que nation hôte de cette conférence, a démontré son engagement envers une IA responsable en signant la Déclaration de Paris sur une intelligence artificielle inclusive et durable pour les peuples et la planète publiée le 11 février 2025. Cette déclaration incarne une vision ambitieuse et inclusive du développement de l’IA, mettant l’accent sur l’éthique, la coopération internationale et l’inclusion numérique. Son esprit est clair : l’IA doit être un levier de développement durable et de prospérité partagée pour l’ensemble des nations.

L’Union africaine (UA) a quant à elle élaboré une Stratégie continentale sur l’intelligence artificielle visant à guider les pays africains dans l’exploitation de l’IA pour répondre aux aspirations de développement et au bien-être de leurs populations. Cette stratégie, alignée sur les valeurs fondamentales de l’UA, met l’accent sur une approche inclusive, éthique et centrée sur l’Afrique. Elle propose des actions telles que le renforcement des capacités en matière d’IA, l’élaboration de cadres de gouvernance adaptés et la promotion de la coopération régionale et internationale. L’objectif est de positionner l’Afrique comme un leader dans le développement responsable et inclusif de l’IA, tout en préservant les valeurs culturelles et en répondant aux défis spécifiques du continent.

I- Un cadre politique quasi-inexistant sur l’IA

Les progrès rapides de l’intelligence artificielle ont poussé de nombreux pays à mettre en place des politiques et stratégies nationales efficientes. Selon le Canadian Institute for Advanced Research (CIFAR), en 2020, vingt-sept pays de l’Union Européenne disposaient d’une stratégie nationale sur l’IA, et 18 autres étaient en cours. Parmi les Nations proactives en la matière, seulement trois sont africaines : la Tunisie, le Kenya et l’Île Maurice, ce qui révèle un retard notable du continent.

Se penchant spécifiquement sur l’Afrique de l’Ouest, le Bénin se distingue pour avoir élaboré sa stratégie nationale pour l’IA de 2023-2027. Orchestrée par le Ministère du Numérique et de la Digitalisation, cette stratégie, adoptée en janvier 2023, positionne le Bénin comme pionnier dans la région. Les domaines d’intervention prioritaires de cette stratégie incluent l’éducation, la santé, l’agriculture et le tourisme.

En revanche, les stratégies numériques d’autres pays de la région, bien que reconnaissant l’importance de l’IA, restent en grande partie silencieuses sur cette technologie émergente. Si le Sénégal envisage de former des spécialistes dans des domaines des Big Data et de l’IA, et que la Côte d’Ivoire envisage de développer la 5G et l’IA, le Burkina Faso, lui, reste prudent dans l’intégration de l’IA dans sa vision numérique.

L’urgence est claire : pour maximiser les avantages de l’IA et atténuer ses risques, les pays d’Afrique de l’Ouest doivent établir des stratégies nationales spécifiques, à l’image des politiques de cyber sécurité déjà en place. Ces stratégies devraient être fondées sur les attentes locales en la matière, et prendre en compte les recommandations de l’Union africaine (UA), qui prône une utilisation optimale des technologies émergentes. Plusieurs de ces recommandations incluent la promotion de politiques de protection des citoyens, l’adoption de réglementations flexibles face aux défis, ou encore la mise en place de groupes de travail nationaux pour la recherche.

L’élaboration de telles stratégies pourrait également bénéficier de l’expérience d’autres continents. Les politiques en vigueur ailleurs dans le monde abordent souvent des aspects tels que la recherche en IA, le recrutement et la rétention des talents, l’éthique de l’IA, et l’inclusion sociale. À titre d’exemple, la stratégie béninoise met l’accent sur l’exploitation des innovations dans des secteurs spécifiques, la recherche, la formation et l’éthique.

Au-delà des initiatives nationales, une collaboration régionale serait essentielle. La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui a déjà élaboré une Stratégie régionale sur la cybersécurité, pourrait jouer un rôle clé en adoptant une stratégie commune sur l’IA. Un tel cadre fournirait des directives aux États membres, favorisant une approche harmonisée du développement de l’IA dans la région.

Alors que l’IA progresse à pas de géant partout dans le monde, l’Afrique de l’Ouest doit s’efforcer de combler son retard. Le développement de stratégies nationales spécifiques et d’initiatives régionales pourrait non seulement propulser la région dans la course à l’IA, mais aussi garantir que cette technologie soit utilisée de manière éthique et bénéfique pour tous.

II- Le cadre réglementaire : construire une IA éthique et souveraine

 La montée de l’intelligence artificielle (IA) présente un double visage : d’une part, elle promet d’amplifier la prospérité et le bien-être sociétal ; d’autre part, elle suscite des préoccupations quant aux éventuelles atteintes aux droits de l’homme et aux biais inhérents. Ces biais, souvent issus de données préalablement faussées ou des décisions des concepteurs – qu’elles soient délibérées ou non – exigent une réponse juridique adéquate.

Des mouvements internationaux, conscients de ces enjeux, ont pris des initiatives législatives. L’Union Européenne, par exemple, a avancé en 2021 un projet réglementaire spécifique à l’IA, tandis que le Canada est en phase d’établir son propre cadre législatif.

En Afrique de l’Ouest, cette impulsion réglementaire est encore à ses balbutiements, mais elle est primordiale. Le Bénin, pionnier dans cette perspective, prévoit, via sa stratégie, la mise en place d’une législation centrée sur les préoccupations éthiques et les responsabilités afférentes à l’IA. Cette législation envisagée vise à instituer des analyses approfondies et des contrôles tout au long du cycle de vie de l’IA, garantissant ainsi que les concepts cruciaux tels que la vie privée et l’équité soient au cœur des systèmes d’IA.

Cependant, une telle réglementation ne devrait pas rester l’apanage d’un État. La CEDEAO, en tant qu’entité sous-régionale, a l’opportunité, voire le devoir, de jouer un rôle directeur en instaurant un règlement communautaire. S’inspirer des recommandations du Comité Ad hoc du Conseil de l’Europe sur l’IA pourrait être un point de départ judicieux, en proposant une définition uniforme de l’intelligence artificielle et en accentuant la prévention des risques associés à cette technologie.

La résolution de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) concernant les droits de l’homme, l’IA, et d’autres technologies émergentes en Afrique peut également fournir une base solide. Le Rapport 2024 de l’Union Africaine sur l’intelligence artificielle intitulé « La stratégie continentale sur l’IA : mettre l’IA au service du développement et de la prospérité de l’Afrique », qui souligne la nécessité d’une approche harmonisée à l’échelle du continent, contient de précieuses recommandations (les 15 domaines d’actions préconisés).

Cependant, il convient de noter que tout cadre législatif sur l’IA doit demeurer agile. Avec l’évolution rapide des systèmes d’IA, une réglementation trop rigide pourrait rapidement devenir obsolète. Face aux défis posés par l’IA, l’Afrique de l’Ouest doit disposer d’outils réglementaires robustes, tout en restant flexible et réactive aux progrès technologiques.

Les enjeux sont nombreux :

La protection des données personnelles pour éviter l’exploitation abusive des citoyens africains. L’éthique de l’IA pour prévenir les biais algorithmiques qui pourraient accentuer les discriminations. La souveraineté numérique pour éviter que l’Afrique devienne un simple consommateur de technologies développées ailleurs. Actuellement, 90 % des données africaines sont hébergées en dehors du continent, principalement sur des serveurs américains et chinois.

III- L’IA en Afrique : une opportunité économique majeure

L’Afrique est à un moment charnière de son développement. Avec une population qui dépassera les 2,5 milliards d’habitants d’ici 2050, dont plus de 60 % auront moins de 25 ans, le continent dispose d’un atout démographique unique. L’intelligence artificielle peut jouer un rôle fondamental pour accélérer la croissance et favoriser l’innovation.

Les estimations du Forum Économique Mondial indiquent que l’IA pourrait ajouter près de 1,2 billion de dollars au PIB africain d’ici 2030. De la finance à l’agriculture en passant par la santé et l’éducation, ses applications sont infinies.

Dans l’agriculture : en Afrique subsaharienne, l’agriculture représente près de 23% du PIB et emploie plus de 50 % de la population. Pourtant, la productivité reste faible, en grande partie à cause des aléas climatiques et des méthodes de culture L’utilisation de l’IA pour analyser les données météorologiques et des sols permet d’optimiser les rendements, réduisant ainsi les pertes post-récolte et renforçant la sécurité alimentaire. Des startups comme Aerobotics en Afrique du Sud utilisent l’IA et la vision par drone pour optimiser les rendements agricoles et lutter contre l’insécurité alimentaire.

Dans la santé, Le continent fait face à une pénurie de médecins : 1 médecin pour 5 000 habitants en Afrique subsaharienne, contre 1 pour 300 en Europe. L’IA peut pallier cette insuffisance en facilitant les diagnostics grâce à des algorithmes capables de détecter précocement certaines maladies, comme la tuberculose ou le paludisme, en optimisant la gestion des hôpitaux avec des outils de planification des soins et des systèmes de télémédecine et en accélérant la détection des épidémies grâce à des modèles prédictifs comme ceux utilisés en 2021 pour suivre la propagation du COVID- 19 en Afrique.

Dans la finance, l’inclusion financière progresse grâce à l’IA et aux fintechs, permettant à des millions de non-bancarisés d’accéder à des services financiers adaptés. Dans l’éducation, l’IA permet de développer des plateformes d’apprentissage adaptées aux besoins de chaque élève, particulièrement dans un continent où plus de 90 millions d’enfants ne sont pas scolarisés.

L’Afrique peut ainsi tirer profit de l’IA non seulement pour générer de la valeur économique, mais aussi pour stimuler la création d’emplois. Contrairement aux craintes souvent exprimées, l’IA générative est plus susceptible d’augmenter les emplois que de les détruire selon une étude de l’Organisation internationale du travail (OIT) publiée en 2024 intitulée

« Generative AI and Jobs : a global analysis of potential effects on job quantity and quality ». Bien que 13% des emplois pourraient être automatisés, le potentiel d’augmentation est nettement plus important, suggérant que l’IA complétera plutôt qu’elle ne remplacera le travail humain. Le rapport souligne également des différences notables selon les niveaux de développement des pays. Dans les pays à revenu élevé, environ 5,5 % de l’emploi total est potentiellement exposé aux effets d’automatisation de l’IA, tandis que dans les pays à faible revenu, ce risque concerne seulement 0,4 % de l’emploi.

IV- Les défis technologiques : une infrastructure à consolider

 Si les opportunités sont immenses, les défis technologiques demeurent. L’IA repose sur quatre piliers essentiels : les données, les infrastructures informatiques, l’énergie, les talents, le capital. L’accès aux données : l’Afrique doit mettre en place des politiques de gouvernance des données qui favorisent le partage, la protection et l’exploitation des données Les infrastructures numériques (connectivité à large bande) : la connectivité reste un défi. Seuls 43 % des Africains ont accès à Internet, une fracture numérique qui entrave le développement de l’IA.

Déficit énergétique : Le développement de l’IA repose sur une infrastructure énergétique stable et fiable. Or, en Afrique, le déficit énergétique demeure un obstacle majeur, avec près de 600 millions de personnes n’ayant pas accès à l’électricité selon la Banque africaine de développement. Les centres de données et les infrastructures nécessaires au déploiement de l’IA requièrent d’importantes ressources énergétiques. Une alimentation électrique instable ralentit non seulement l’innovation technologique mais freine aussi la capacité des entreprises et des gouvernements à exploiter pleinement les opportunités offertes par l’IA. Il est donc impératif d’investir dans des solutions énergétiques durables pour assurer un déploiement efficace de l’IA sur le continent.

Les talents et la formation : L’Afrique doit investir massivement dans l’éducation aux sciences de la donnée et à l’intelligence artificielle. Des initiatives comme le programme AI4D de l’Union Africaine montrent la voie, mais il faut aller plus loin. Le capital : Stimuler les investissements publics et privés dans l’IA aux niveaux national et régional.

V- L’inclusion numérique : un impératif pour éviter une IA à deux vitesses

L’IA ne doit pas aggraver les inégalités, mais au contraire renforcer l’inclusion. Aujourd’hui, la fracture numérique est encore trop marquée entre les zones urbaines et rurales, entre les hommes et les femmes, entre les populations connectées et celles qui restent en marge

L’éducation numérique des jeunes filles doit être une priorité. Actuellement, seules 30 % des diplômés en STEM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) sont des femmes en Afrique subsaharienne. Les solutions d’IA doivent être développées en langues locales, pour ne pas exclure les populations qui ne maîtrisent pas les langues dominantes de l’Internet. L’inclusion numérique est un levier fondamental pour que l’IA bénéficie à tous et non à une élite technologique.

Conclusion : une Afrique actrice et non spectatrice de la révolution de l’IA

L’Afrique ne doit pas être un simple spectateur de la révolution de l’intelligence artificielle. Elle a les talents, les ressources et l’énergie nécessaires pour faire de l’IA un moteur de développement inclusif et durable. Le continent doit investir massivement dans l’éducation technologique pour ne pas subir l’IA, mais en devenir un acteur clé.

Les défis sont nombreux, mais les opportunités sont immenses. C’est en travaillant ensemble – gouvernements, entreprises, chercheurs et société civile – que nous pourrons faire de l’intelligence artificielle un levier de prospérité pour toute l’Afrique ».

Abidjan, le 22 Février 2025
Cellou Dalein Diallo

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