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𝐃𝐞́𝐯𝐞𝐥𝐨𝐩𝐩𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐝𝐞𝐬 𝐅𝐢𝐧𝐭𝐞𝐜𝐡𝐬 𝐞𝐧 𝐆𝐮𝐢𝐧𝐞́𝐞 : 𝐄𝐧𝐣𝐞𝐮𝐱, 𝐑𝐢𝐬𝐪𝐮𝐞𝐬 𝐞𝐭 𝐑𝐞́𝐠𝐥𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬

Ce 22 octobre 2025 s’ouvre à Conakry la 3ᵉ édition de « Guinea Fintech Week », un évènement annuel dédié à l’innovation financière en Guinée et dans la sous-région ouest-africaine. Les organisateurs cherchent à rassembler les professionnels de la finance, les startups et les décideurs politiques pour débattre de thématiques diverses et variées concernant les tendances en matière de technologies financières.

Ayant consacré une partie de mon mémoire de Master 2 (en 2020) au développement des fintechs en Afrique subsaharienne, je me permets d’apporter ma modeste contribution afin de faciliter la compréhension de ces nouveaux acteurs qui changent nos habitudes et qui se développent rapidement dans notre système financier. Pour ce faire, nous examinerons les enjeux et avantages qu’ils présentent, les risques qu’ils comportent pour le consommateur, et enfin le modèle de réglementation que les autorités publiques devraient mettre en place pour encadrer leur essor.

𝐐𝐮’𝐞𝐬𝐭-𝐜𝐞 𝐪𝐮’𝐮𝐧𝐞 𝐅𝐢𝐧𝐭𝐞𝐜𝐡 ?

Pour le Conseil de Stabilité Financière (FSB), la Fintech désigne une « innovation technologique dans les services financiers pouvant déboucher sur de nouveaux modèles commerciaux, applications, processus ou produits avec un effet matériel sur la fourniture de services. »

De son côté, le Fonds Monétaire International (FMI) définit la Fintech comme une « innovation technologique dans la fourniture de services financiers. »

Le marché des Fintechs est en plein essor. Selon les données du KPMG Pulse of Fintech (juillet 2018), le montant des investissements réalisés dans les entreprises du secteur est passé d’environ 9 milliards de dollars US en 2010 à plus de 57,8 milliards de dollars US au premier semestre 2018.

Bien qu’un léger recul ait été observé ces dernières années, les investissements ont atteint près de 95,6 milliards de dollars US en 2024, avec des signes clairs de reprise : plus de 11 milliards de dollars US ont été investis au cours du deuxième trimestre 2025 (KPMG).

𝐐𝐮𝐞𝐥𝐬 𝐬𝐨𝐧𝐭 𝐥𝐞𝐬 𝐩𝐫𝐨𝐝𝐮𝐢𝐭𝐬 𝐞𝐭 𝐜𝐚𝐭𝐞́𝐠𝐨𝐫𝐢𝐞𝐬 𝐝𝐞 𝐅𝐢𝐧𝐭𝐞𝐜𝐡 ?

Selon Delphine Cuny (Banque de France), on distingue les fintechs classiques et celles associées à l’inclusion financière.

𝐅𝐢𝐧𝐭𝐞𝐜𝐡𝐬 𝐜𝐥𝐚𝐬𝐬𝐢𝐪𝐮𝐞𝐬

• 𝐋𝐞𝐬 𝐅𝐢𝐧𝐭𝐞𝐜𝐡𝐬 𝐁𝐭𝐨𝐂 (𝐁𝐮𝐬𝐢𝐧𝐞𝐬𝐬-𝐭𝐨-𝐂𝐨𝐧𝐬𝐮𝐦𝐞𝐫) : destinées au grand public, elles incluent les néobanques 100 % digitales (Nickel), les cagnottes en ligne (Leetchi), les applications de paiement (Lydia) ou de gestion financière personnelle (Bankin, Linxo).
• 𝐋𝐞𝐬 𝐅𝐢𝐧𝐭𝐞𝐜𝐡𝐬 𝐁𝐭𝐨𝐁 (𝐁𝐮𝐬𝐢𝐧𝐞𝐬𝐬-𝐭𝐨-𝐁𝐮𝐬𝐢𝐧𝐞𝐬𝐬) : elles offrent des services financiers aux entreprises, comme le transfert de devises en ligne (Kantox) ou l’affacturage dématérialisé (Finexkap).
• 𝐋𝐞𝐬 𝐅𝐢𝐧𝐭𝐞𝐜𝐡𝐬 𝐁𝐭𝐨𝐁𝐭𝐨𝐂 (𝐁𝐮𝐬𝐢𝐧𝐞𝐬𝐬-𝐭𝐨-𝐁𝐮𝐬𝐢𝐧𝐞𝐬𝐬-𝐭𝐨-𝐂𝐨𝐧𝐬𝐮𝐦𝐞𝐫) : à l’image des plateformes de financement participatif (crowdfunding), elles mettent en relation porteurs de projets, commerçants, PME et investisseurs.
• 𝐋𝐞𝐬 𝐈𝐧𝐬𝐮𝐫𝐭𝐞𝐜𝐡𝐬 𝐞𝐭 𝐑𝐞𝐠𝐭𝐞𝐜𝐡𝐬 : les premières innovent dans l’assurance, les secondes développent des solutions technologiques pour répondre aux contraintes réglementaires et de conformité (notamment le KYC – « Know Your Customer »).

𝐅𝐢𝐧𝐭𝐞𝐜𝐡𝐬 𝐞𝐭 𝐢𝐧𝐜𝐥𝐮𝐬𝐢𝐨𝐧 𝐟𝐢𝐧𝐚𝐧𝐜𝐢𝐞̀𝐫𝐞

Ces fintechs visent à offrir des services financiers à des populations jusque-là exclues du système bancaire formel, notamment en zones rurales. Parmi ces innovations figurent le Mobile Banking, les cryptoactifs et cryptomonnaies, etc.

En Guinée, l’inclusion financière, économique et sociale est considérée comme une priorité nationale. En novembre 2019, l’État a créé l’Agence Nationale d’Inclusion Économique et Sociale (ANIES), chargée d’aider les populations les plus pauvres à sortir de la pauvreté et à accéder aux services financiers.

Le Mobile Banking, la fintech la plus connue en Guinée, permet d’utiliser un téléphone portable pour effectuer des transactions financières : dépôt, transfert, paiement de factures ou réception de revenus. Il s’agit d’un levier essentiel pour la bancarisation et la réduction de la pauvreté.

𝐀𝐯𝐚𝐧𝐭𝐚𝐠𝐞𝐬 𝐞𝐭 𝐫𝐢𝐬𝐪𝐮𝐞𝐬 𝐝𝐞𝐬 𝐅𝐢𝐧𝐭𝐞𝐜𝐡𝐬

Les Fintechs jouent un rôle crucial dans la promotion de l’inclusion financière. Elles permettent de réduire l’asymétrie d’information, de limiter la circulation du cash, d’accélérer les transactions financières, et de réduire les coûts et délais des opérations. Mais ces avantages s’accompagnent de risques réels, tant pour les consommateurs que pour la stabilité financière globale.

Les principaux risques concernent :

• La protection des données personnelles et de la vie privée ;

• Le non-respect des contrats ou des pratiques déloyales envers les clients ;
• Les problèmes de liquidité (incapacité de certaines sociétés à convertir l’argent électronique en liquide) ;

• Les risques de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme.

Une régulation adaptée devient donc indispensable pour garantir un équilibre entre innovation et stabilité.

𝐐𝐮𝐞𝐥𝐬 𝐭𝐲𝐩𝐞𝐬 𝐝𝐞 𝐫𝐞́𝐠𝐥𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐥𝐞𝐬 𝐅𝐢𝐧𝐭𝐞𝐜𝐡𝐬 ?

Les régulateurs africains doivent trouver un équilibre entre stimulation de l’innovation et maîtrise des risques.

Quatre grandes approches réglementaires sont généralement observées :

𝟏. 𝐋’𝐚𝐩𝐩𝐫𝐨𝐜𝐡𝐞 𝐝𝐮 𝐬𝐭𝐚𝐭𝐮 𝐪𝐮𝐨 : appliquer la réglementation existante aux fintechs. Elle sécurise le système mais limite l’innovation.

𝟐. 𝐋’𝐚𝐩𝐩𝐫𝐨𝐜𝐡𝐞 𝐝𝐮 “𝐯𝐢𝐯𝐫𝐞 𝐞𝐭 𝐥𝐚𝐢𝐬𝐬𝐞𝐫 𝐯𝐢𝐯𝐫𝐞” : laisser le secteur évoluer librement, puis intervenir en cas de dérives. Cette méthode favorise la créativité, mais au risque d’instabilité.

𝟑. 𝐋’𝐚𝐩𝐩𝐫𝐨𝐜𝐡𝐞 𝐝𝐞 𝐥’𝐞𝐱𝐩𝐞́𝐫𝐢𝐦𝐞𝐧𝐭𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐨̂𝐥𝐞́𝐞 (𝐬𝐚𝐧𝐝𝐛𝐨𝐱) : autoriser des tests dans un cadre limité et surveillé. Cela permet de comprendre les impacts avant une régulation complète.

𝟒. 𝐋’𝐚𝐩𝐩𝐫𝐨𝐜𝐡𝐞 𝐩𝐞𝐫𝐬𝐨𝐧𝐧𝐚𝐥𝐢𝐬𝐞́𝐞 𝐨𝐮 𝐚𝐝𝐚𝐩𝐭𝐚𝐭𝐢𝐯𝐞 : créer des règles spécifiques aux fintechs, plus souples que celles appliquées aux banques traditionnelles.

𝐕𝐞𝐫𝐬 𝐮𝐧𝐞 𝐚𝐩𝐩𝐫𝐨𝐜𝐡𝐞 𝐦𝐢𝐱𝐭𝐞 𝐞𝐭 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐞𝐱𝐭𝐮𝐞𝐥𝐥𝐞

Une approche mixte semble la plus pertinente pour la Guinée : elle doit concilier inclusion financière, éducation, innovation et stabilité du système.

Cette approche suppose :

• Une réglementation progressive et flexible ;
• Une coopération entre la Banque centrale, le secteur privé et les innovateurs ;

• Une adaptation constante aux réalités culturelles, technologiques et économiques du pays.

Les régulateurs doivent comprendre la dynamique des acteurs — fintechs, secteur informel, inventeurs et développeurs — pour construire une régulation pragmatique et évolutive.

𝐄𝐱𝐞𝐦𝐩𝐥𝐞𝐬 𝐢𝐧𝐬𝐩𝐢𝐫𝐚𝐧𝐭𝐬

L’Afrique du Sud et le Kenya figurent parmi les pays africains les plus avancés en matière de réglementation des fintechs. La South African Reserve Bank (SARB) et la Central Bank of Kenya (CBK) ont adopté des cadres réglementaires souples, favorisant l’innovation tout en assurant la stabilité financière.

Dans la zone CEDEAO, et particulièrement dans l’UEMOA, des progrès ont été faits pour encadrer les services de paiement, mais beaucoup reste à faire concernant la régulation du Mobile Banking et des cryptoactifs.

La Guinée gagnerait à s’inspirer de ces modèles, tout en tenant compte de son niveau de développement technologique, de son écosystème entrepreneurial, et de ses besoins spécifiques en inclusion financière.

Enfin, au-delà du rôle de la Banque centrale, il est essentiel que le gouvernement adopte une politique nationale de promotion de la technologie, notamment via un groupe de travail multi-agences dédié à l’innovation financière, à la robotique et à l’intelligence artificielle.

𝐂𝐨𝐧𝐜𝐥𝐮𝐬𝐢𝐨𝐧

Le développement des Fintechs en Guinée représente une opportunité historique de transformation économique et sociale. En rapprochant les citoyens des services financiers, elles participent à l’inclusion, à la transparence et à la modernisation de notre système financier et du pays.

Mais cette révolution numérique ne pourra être durable que si elle repose sur un cadre réglementaire clair, équilibré et évolutif. La Guinée doit donc favoriser l’innovation tout en protégeant ses citoyens, encourager les startups tout en sécurisant les transactions, et s’inspirer des meilleures pratiques africaines sans perdre de vue ses réalités locales.

En un mot, il s’agit d’avancer avec audace, mais avec prudence — pour que les fintechs deviennent non pas une mode passagère, mais un pilier solide du développement socio-économique de la Guinée.

𝐌𝐚𝐦𝐚𝐝𝐨𝐮 𝐃𝐣𝐨𝐮𝐥𝐝𝐞́ 𝐃𝐢𝐚𝐥𝐥𝐨
Analyste Conformité et LCB-FT

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