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Une Administration Africaine sans papier, souveraine et numériquement gouvernée

Dans un monde où la compétitivité des nations se joue sur la maîtrise des technologies numériques, l’administration publique africaine reste pour beaucoup figée dans un système archaïque, dominé par la paperasserie, les cachets, et les archives physiques. Ce modèle, hérité de l’époque coloniale, n’est plus adapté aux enjeux contemporains : il ralentit l’efficacité des services publics, alimente la fraude documentaire et la corruption, fragilise la mémoire institutionnelle, et mine la confiance des citoyens. Pour bâtir une Afrique souveraine, moderne et juste, il est impératif de tourner la page du papier et d’embrasser pleinement la transformation numérique de l’État.

Plusieurs pays africains pionniers illustrent la voie du succès. Le Rwanda, avec sa plateforme IremboGov, propose à ses citoyens plus de 200 services administratifs accessibles en ligne, réduisant drastiquement les délais de traitement et facilitant l’accès à l’administration. Le Kenya a déployé eCitizen, offrant des milliers de services dématérialisés et générant chaque jour des millions de dollars de revenus publics directement collectés, tout en modernisant l’expérience usager via une application mobile performante. Le Maroc, de son côté, a initié une numérisation progressive de ses registres fonciers, permettant une meilleure sécurisation des droits de propriété et une réduction notable des litiges. Ces exemples démontrent que la numérisation est à la fois un levier d’efficacité administrative et un puissant outil de lutte contre la corruption.

Néanmoins, cette transition n’est pas exempte de défis majeurs. La faiblesse des infrastructures numériques, notamment dans les zones rurales, les bugs techniques, les risques de cyberattaques, ainsi que la méfiance ou la résistance de certains cadres administratifs — qui profitent du “lobbying du papier” — sont des réalités qu’il faut affronter avec lucidité. Par ailleurs, beaucoup de pays africains n’hébergent pas encore leurs données stratégiques sur des infrastructures souveraines, ce qui expose leurs informations sensibles à des risques géopolitiques. De plus, la protection des données personnelles reste insuffisamment encadrée, ce qui pourrait fragiliser la confiance des citoyens dans le système numérique.

Pour réussir, l’Afrique doit faire de sa souveraineté numérique une priorité stratégique, en développant ses propres datacenters sécurisés et régulés par des lois rigoureuses inspirées du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) européen. Il faut également créer un cadre légal clair sur la confidentialité et la sécurité des informations, avec des autorités de contrôle indépendantes, garantissant aux citoyens que leurs données ne seront ni détournées ni exposées.

L’inclusion est un autre pilier essentiel. Le passage au numérique doit impérativement intégrer les populations les plus vulnérables : analphabètes, ruraux, personnes âgées, et usagers sans accès Internet. Cela nécessite de déployer des solutions adaptées comme les services USSD accessibles via téléphone basique, la formation d’agents numériques de proximité, et la mise en place de centres d’accompagnement multilingues. C’est une condition sine qua non pour que la révolution numérique ne creuse pas davantage les inégalités, mais au contraire rassemble les Africains autour d’un projet partagé.

Au-delà de la technologie, cette révolution est un acte écologique majeur. Le recours massif au papier engendre chaque année une déforestation importante, une pollution liée à la fabrication et à la destruction des documents, ainsi que des coûts logistiques élevés. Réduire drastiquement la consommation de papier dans l’administration est donc un geste fort pour préserver les ressources naturelles, diminuer l’empreinte carbone des États, et s’inscrire dans une démarche durable.

Enfin, la réussite durable de cette transformation passe par une coopération panafricaine renforcée. Les États doivent mutualiser leurs efforts pour créer des standards communs, assurer l’interopérabilité des systèmes administratifs numériques, et harmoniser les cadres juridiques sur la cybersécurité et la protection des données. L’Union africaine, à travers des conventions comme celle de Malabo, offre un cadre de référence qui doit être pleinement adopté et déployé par tous les pays.

La dématérialisation est plus qu’une réforme technique : c’est une révolution culturelle, institutionnelle et politique. Elle impose de rompre avec les réseaux opaques qui tirent profit du papier, de former une nouvelle génération de fonctionnaires numériques, et de mobiliser l’ensemble des acteurs, publics comme privés, pour bâtir une administration accessible, rapide, transparente et digne. Chaque jour de retard dans cette transformation coûte cher à l’Afrique : en argent public perdu, en confiance sapée, et en développement freiné.

L’Afrique possède les talents, la jeunesse et les technologies pour réussir ce saut vers une gouvernance digitale souveraine et inclusive. Il ne manque plus que la décision politique forte pour déclencher cette mutation historique. Tourner la page du papier, c’est faire un pas décisif vers une Afrique plus juste, plus moderne et plus fière d’elle-même.

Par Alamina Baldé
Conseiller diplomatique et acteur du changement en Afrique

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