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La Guinée à la croisée des chemins : Mamady Doumbouya et la renaissance de la souveraineté postcoloniale à travers la réforme minière

Cet article propose une analyse critique et contextualisée des réformes en cours, tout en adoptant une perspective panafricaine sur la souveraineté économique. Nous vous invitons à plonger dans cette réflexion et à partager vos avis et commentaires en vue d’une éventuelle publication.

« Seuls ceux qui maîtrisent leur terre peuvent maîtriser leur destin. »
— Amílcar Cabral.

Longtemps piégée dans le paradoxe cruel de la richesse minérale et de la pauvreté sociale, la Guinée semble aujourd’hui vouloir briser ses chaînes. La décision historique du président Mamady Doumbouya de révoquer plus d’une centaine de permis miniers inactifs ou sous-exploités ne relève pas d’un simple ajustement administratif. C’est un acte souverain, mûri et stratégique, qui s’inscrit dans une volonté manifeste de réécrire les rapports entre la Guinée – et plus largement l’Afrique francophone – et le capitalisme global.

Ce geste, aussi audacieux que polémique, ne peut se réduire à une réaction bureaucratique face aux inquiétudes des investisseurs. Il s’agit d’une opération de fond : démanteler l’ordre néocolonial encore dominant, qui cantonne les États africains au rôle de pourvoyeurs de matières premières, tout en les maintenant dans une dépendance systémique vis-à-vis des capitaux, des technologies et des devises étrangères.

Frantz Fanon l’avait prophétisé dans Les Damnés de la Terre : « La richesse des pays impérialistes, c’est aussi notre richesse… Ils sont riches parce qu’ils nous ont volés. » Si elles sont menées avec rigueur, les réformes de Doumbouya pourraient bien inaugurer une ère de réparation historique.

L’illusion de la “sécurité juridique” : un écran pour perpétuer l’exploitation ?

Les cercles financiers internationaux ont vite réagi, dénonçant une atteinte à la sécurité juridique, ce totem brandi chaque fois qu’un État africain ose toucher à des privilèges acquis. Mais à qui profite cette sécurité ? Et de quelle légalité parle-t-on lorsque les permis miniers sont accordés dans l’opacité, au mépris des intérêts collectifs ?

Durant des décennies, la Guinée a vu ses ressources pillées par des multinationales profitant d’institutions faibles, d’un encadrement réglementaire laxiste et d’une élite politique souvent complice. Ces contrats n’étaient ni équitables ni équilibrés ; ils résultaient d’un déséquilibre structurel de pouvoir entre prédateurs et États sous tutelle.

La théorie de la dépendance – chère à Samir Amin et Walter Rodney – trouve ici toute sa pertinence. En extrayant sa bauxite brute, en négligeant la transformation locale, et en générant peu de retombées fiscales, le modèle minier guinéen symbolise une économie périphérique piégée dans la logique de l’exportation à bas coût.

En ce sens, l’initiative de Doumbouya s’apparente non à une dérive autoritaire, mais à une « recentralisation légitime des leviers de souveraineté. »

Une dynamique panafricaine en gestation

Le cas guinéen n’est pas isolé. Une vague de redéfinition des rapports économiques avec l’Occident traverse actuellement l’Afrique. Au Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré a fait de la réappropriation des ressources nationales un pilier de son action. Il dénonce la sortie massive de l’or tandis que les citoyens vivent dans la précarité. Ses mots résonnent comme un cri collectif : « Trop c’est trop. »

Le Botswana, en renégociant ses accords avec De Beers en 2023, a imposé un nouveau paradigme fondé sur la valeur ajoutée locale et le partage équitable des revenus. Le Rwanda de Paul Kagame, lui, refuse toute exportation de matières premières non transformées, misant sur l’industrialisation nationale comme levier d’autonomie. Le Ghana, quant à lui, contourne le système dollar-dépendant par des accords d’échange « or contre carburant ».

Autant d’exemples qui montrent que l’Afrique ne se contente plus de protester : elle agit, elle structure, elle revendique.

Quatre piliers pour une refondation minière durable

Pour que la réforme en Guinée ne reste pas un symbole, mais devienne une réalité économique transformatrice, quatre axes stratégiques doivent guider l’action de l’État :

  1. Transparence et redevabilité institutionnelle: La création d’une Autorité indépendante de régulation minière est essentielle. Elle garantirait l’équité dans l’attribution des permis, la supervision environnementale, et la traçabilité des flux financiers.
  2. Industrialisation et contenu local: L’exportation de minerais bruts doit céder la place à une chaîne de valeur nationale. L’obligation d’investissements dans la transformation locale et la formation professionnelle s’impose.
  3. Création d’un Fonds Souverain de Développement Minier: Les revenus extraits du sous-sol doivent servir les générations futures. Un fonds souverain, inspiré des modèles botswanais ou norvégiens, permettrait d’ancrer l’investissement dans l’infrastructure, la recherche et l’éducation.
  4. Alliance stratégique africaine: La Guinée doit œuvrer à la constitution d’un **Bloc africain pour la souveraineté minière**. En harmonisant les législations et en partageant les expertises, les États du Sud peuvent échapper au chantage fiscal et environnemental des grands groupes extractifs.Réécrire l’histoire, pas seulement la loiCe que Mamady Doumbouya a enclenché, c’est un nouveau récit. Il ne s’agit plus de quémander des aides ou de négocier à la marge, mais de **redéfinir les termes de l’échange mondial**. C’est une tentative de sortir de la subalternité pour entrer dans une ère de pleine souveraineté.

    Comme le disait Kwame Nkrumah : « Nous ne faisons face ni à l’Est, ni à l’Ouest. Nous faisons face à l’avenir.»Encore faut-il que cette marche vers l’avenir se fasse avec constance, lucidité et volonté collective.

    Conclusion : de l’audace à la transformation

    La révocation des permis miniers est un acte fondateur. Mais au-delà du symbole, la véritable épreuve sera celle de la gouvernance : traduire l’audace en institutions, et l’initiative politique en résultats concrets pour le peuple guinéen.

    Si cela est accompli, alors l’histoire retiendra qu’en mai 2025, la Guinée n’a pas seulement annulé des contrats. Elle a restauré sa dignité.

    Par Thierno Mohamadou Diallo, enseignant-chercheur à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia – Conakry
    [email protected]

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