Qui l’aurait cru ? Même mort, l’artiste Momo Wandel Soumah continue à générer de l’argent sous forme de vente et de droits d’auteur. Mais à qui profite cet argent ? Aux maisons de disques à l’étranger ou aux proches collaborateurs du défunt artiste ? Plongée du quotidien ©Sitanews dans les méandres d’une sulfureuse affaire de détournement.
Les œuvres de Momo Wandel Soumah (artiste légendaire de toute l’histoire de la Guinée), ont toujours engrangé des revenus incroyables. Mais l’artiste est mort dans l’extrême pauvreté dans son pays. Quel paradoxe ! Après le décès du chanteur le 15 juin 2003 à Conakry, l’on se demande qui continue à bénéficier du fruit de ses efforts.
Une enquête de ©Sita CAMARA
Nous sommes en Guinée, un petit pays de l’Afrique de l’Ouest chargé d’histoire et de culture riche et variée. Il a connu des grands artistes comme Aboubacar Demba Camara et Kouyaté Sory Kandia, entre autres. Dans ce même registre d’anciennes gloires figure Momo Wandel Soumah, artiste hors pair qui a su marquer toute son existence. Cela à travers sa création artistique très originale.
Cette passion lui a valu une côte de popularité assez poussée et un respect absolu sur l’échiquier international. Il fut un grand chanteur compositeur et saxophoniste. L’histoire retient que Wandel a été l’un des plus grands promoteurs du jazz africain.
Très vite, il a été « catéchisé » par des pinacles du jazz comme John William Coltrane, Miles Davis, Parker, Coleman et Miriam Makeba avec qui il partagera la scène à plusieurs occasions. Avec toute cette convoitise dont il a fait l’objet à son vivant, Wandel n’a jamais été riche. À Conakry, il a longtemps trainé son squelette de misère sous l’œil insensible des Guinéens et collaborateurs avant de décéder.
Cette enquête dans laquelle nous vous plongeons, vous donnera forcément le tournis. Il nous a fallu du temps pour comprendre un peu la manière dont les fonds générés par les œuvres du Doyen Momo Wandel sont utilisés. Cela, 18 ans après son décès à l’âge de 77 ans. C’est extraordinaire !
Direction France. Depuis plusieurs décennies, des fabricants de disques et maisons de distribution internationales s’enrichissent en permanence sur le cadavre de Momo Wandel Soumah. Les œuvres de l’artiste sont exploitées, dupliquées et vendues loin du regard de sa famille et de son pays.
La musique de Momo Wandel Soumah est un chef-d’œuvre mondial. Ses CD et vinyles, les blancs se les arrachent. La demande est tellement forte en France qu’on assiste souvent à une rupture de stock. Il faut donc faire une précommande du produit pour qu’on vous le livre dans votre boîte aux lettres. Dans les rayons, les albums de Wandel sont vendus comme des cacahuètes. Mais ni les membres de sa famille, ni son entourage, personne n’en profite.
« Depuis la mort de mon père, la famille ne bénéficie plus de ses droits. C’est une situation qui me choque. Je n’aime pas d’ailleurs en parler. En Guinée par exemple, le BGDA [Bureau Guinéen du Droit d’Auteurs, NDLR] nous donne une fois par an : 1 million 600, quelquefois 1 million 500 ou 1 million 200 francs guinéens. Ça dépend. Concernant ses droits à l’international, on n’en sait rien. Mais comme mon Papa faisait sa musique avec un certain Laurent CHEVALLIER (réalisateur français NDLR), je lui ai dit lors de son dernier voyage à Conakry que depuis 4 ans, nous ne recevons plus les droits de notre père. Il m’a dit que les disques ne s’achètent plus – que les droits de notre père sont coupés. Que si quelqu’un meurt, c’est fini. Je lui ai demandé si c’était comme ça ? Quand quelqu’un meurt, sa famille n’aura plus rien comme droits ? Mais, avant, on nous envoyait en Guinée 100 euros, parfois 200 euros. J’ai tous les documents avec moi ici. On m’a dit que quand quelqu’un meurt, qu’il n’a plus de droits. Même les 5 millions que l’État guinéen donne chaque mois aux anciennes gloires, la famille de Momo Wandel n’en bénéficie pas. On nous a dit qu’il est mort, que c’est fini », nous confie, à gorge nouée, l’une des filles de Momo Wandel à Conakry.
Mais que dit la loi française en pareille circonstance ? Selon la législation française, « les droits moraux sont perpétuels. Tandis que les droits patrimoniaux s’éteignent 70 ans après la mort de l’artiste ou de l’auteur ». Notre curiosité nous a poussés un plus loin dans cette enquête macabre. En France, nous avons tenté de rencontrer le réalisateur français Laurent CHEVALLIER qui a longtemps collaboré avec Momo Wandel. Nous avons plusieurs fois échangé avec lui par mail. Mais malheureusement, toutes nos tentatives de demande d’interview avec M. CHEVALLIER ont été vaines.
Qui contrôle ce circuit de vente et de droits d’auteur de Momo Wandel Soumah à l’international ? La question reste entière.
Si la famille de l’artiste n’a aucun contrôle de la situation, cela réjouit d’autres. Pendant ce temps, un CD de Momo Wandel se vend à 80,47 euros à la Fnac (plus de 800 mille francs guinéens). La capture d’image ci-dessous peut en témoigner. Mais qui est derrière cette grosse machine ? Sitanews© a tenté de joindre quelques fabricants dont les noms figurent en séries existantes de tous les albums de l’artiste mis en vente. Hélas, nous n’avons trouvé aucun répondant.
Qui sont ces maisons ? On peut citer entre autres Saphir ; et Momox qui est une société allemande. DVD Mania (italienne) vend un CD de Momo Wandel à 103,91 euros (plus d’un million de francs guinéens). L’album Matchowe de Momo Wandel sorti en 1992 est vendu en vinyle et en CD respectivement à 20,61 euros (plus de 200 mille francs guinéens) et 87,99 (plus 880 000 francs guinéens).
Aussi sur Amazon, les fabricants Saphir et Buda Musique vendent respectivement l’album Afro swing (produit par Onti Musicali en 2001) à 26,79 euros (près de 300 mille francs guinéens) et l’album African B.O à 12,53 euros (près de 130 mille francs guinéens).
Amazon Music (streaming) les prix sont à 9,99 euros (MP3) (plus de 100 mille francs guinéens) et 75 euros le CD (plus de 700 000 mille francs guinéens) avec une offre à partir de 75 euros. Tous les prix incluant la TVA (Taxe sur Valeur Ajoutée). Et souvent, la livraison est facturée à 2,49 euros, soit plus de 20 000 francs guinéens). Même la K7 de Momo Wandel est vendue sur les sites internet à des prix oscillant entre à 10 à 15 euros (100/ 150 mille francs guinéens).
Momo Wandel plus cher que Bob Marley à la Fnac ?
Peut-être que cela va vous paraitre étonnant. Les années antérieures, des albums de Momo Wandel étaient plus cher que ceux de Bob Marley (« prophète » du reggae mondial) à la Fnac. Cette information a été vérifiée par notre rédaction et un mélomane nous l’a aussi témoigné.
« J’ai fréquenté l’homme. C’était normal pour nous jeunes artistes. Momo Wandel était une bibliothèque. Et il fallait en profiter. La preuve est qu’en termes de vente, la demande était forte. Dans les temps, Momo Wandel était plus cher que Bob Marley à la Fnac. Son CD était vendu 27 euros (près de 300 mille francs) alors que Bob était à 16 euros (plus de 160 mille francs guinéens). Et aujourd’hui, allez-y voir, vous verrez que le prix est monté à 87 euros (plus de 870 mille francs guinéens) », nous confie Ras Condel, artiste de musique urbaine qui s’est toujours intéressé aux œuvres du Doyen Wandel.
Une question taraude l’esprit : comment les œuvres de Momo Wandel se sont retrouvées « illégalement » sur certaines plateformes en France et ailleurs ? Au cours de notre enquête, des sources nous révèlent ceci : « Un Français était venu à Conakry et avait enregistré Momo Wandel dans une chambre d’hôtel. Cela étant, il lui a donné quelques billets de francs guinéens en contrepartie. Et après, Momo Wandel a donné tous ses droits au blanc et celui-ci est parti », témoignent-elles.
Ce qui choque…
Au regard de tout ce qu’il générait et de ce qu’il représentait en termes de valeur artistique, Momo Wandel Soumah est mort misérable en quémandant dans les rues de Conakry avec une béquille, sans soins.
Selon nos sources, l’artiste avait eu une fracture de la hanche. Il a été évacué en Europe où il a subi une intervention chirurgicale financée par une association française. A son retour en Guinée, il a fait une rechute avant de succomber à la maladie.
Les années passent, les chanteurs se révèlent, mais les œuvres et le flair artistique de Momo Wandel restent et demeurent authentiques, insurpassables et indicibles. Chaque année, à la date d’anniversaire de sa mort, la presse culturelle guinéenne comme Kalac radio se souvient toujours de l’artiste et diffuse à foison ses œuvres majeures.
Aujourd’hui, le seul et l’unique hommage visible de l’homme est bien la Salle Momo Wandel Soumah du Centre culturel Sory Kandia Kouyaté communément appelé le Centre Culturel Franco-guinéen (CCFG). L’enceinte est située tout juste au vestibule de Kaloum, la commune historique et administrative de la capitale Conakry.
Que faut-il faire pour rétablir la famille de Momo Wandel dans ses droits ? La question reste ouverte.
Par ©Sita CAMARA