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Doumbouya peut-il être battu ? Pourquoi Abdoulaye Yero Baldé incarne une possibilité réelle dans l’élection guinéenne de 2025

L’élection présidentielle guinéenne prévue le 28 décembre 2025 ne saurait être considérée comme un exercice démocratique ordinaire. Elle constitue un moment de vérité. Quatre ans après le coup d’État de 2021, les Guinéens sont appelés—implicitement sinon explicitement—à trancher une question fondamentale : la transition ouverte au nom du redressement national doit-elle s’achever par la normalisation électorale du pouvoir militaire, ou par la restauration, même fragile, de l’autorité civile ?

C’est dans ce contexte hautement chargé que s’impose une interrogation de plus en plus présente dans les marchés, les universités, les taxis et les cours familiales : le général Mamady Doumbouya peut-il être battu par Abdoulaye Yero Baldé ? Pour beaucoup d’observateurs, la réponse semble évidente : « peu probable ». Pourtant, l’histoire politique enseigne que les élections de transition sont précisément les moments où l’improbable devient possible.

Il ne s’agit pas ici de proclamer une certitude. Aucun analyste sérieux ne peut promettre la victoire à un candidat civil face à un sortant soutenu par l’appareil d’État. Mais la politique ne se gouverne pas uniquement par des certitudes ; elle se structure autour de conditions. Et, en Guinée, les conditions d’un basculement existent, sont visibles et mûrissent rapidement.

Le piège de la majorité silencieuse

Les régimes de transition confondent souvent visibilité et légitimité. Les grandes mobilisations, les soutiens d’élite, la loyauté administrative et la mise en scène de l’autorité peuvent créer l’illusion d’un consensus populaire. Pourtant, lorsque les citoyens estiment que leur vote compte réellement, les urnes révèlent fréquemment une autre réalité : celle d’une majorité silencieuse éprouvée par les difficultés économiques, lassée de l’incertitude prolongée et préoccupée par le rétrécissement de l’espace civique.

La transition guinéenne a été marquée par de vives contestations autour des règles électorales, de la participation politique et du calendrier constitutionnel. Le référendum de 2025 et le cadre électoral qui s’en est suivi ont été perçus par une partie de l’opinion non comme de simples réformes institutionnelles, mais comme des dispositifs ouvrant la voie à la candidature du chef de la junte. Dans de telles circonstances, les électeurs utilisent souvent le scrutin comme un signal politique—un moyen d’exprimer leur malaise face à l’évolution du pouvoir.

C’est dans cet espace que la candidature d’Abdoulaye Yero Baldé acquiert une portée symbolique. Au-delà de l’homme, il incarne pour beaucoup une correction civile—un instrument permettant de refermer la parenthèse de la transition et de réaffirmer la primauté du pouvoir civil.Les outsiders progressent rapidement lorsque l’élection devient un référendum sur la légitimité plutôt qu’un simple choix de personnalité.

Le « déficit de promesse » et l’érosion de la légitimité révolutionnaire

La légitimité initiale du général Doumbouya était de nature révolutionnaire. Le coup d’État fut présenté comme une rupture nécessaire avec un ordre politique défaillant. Or, toute légitimité née de l’exception est, par essence, temporaire. Lorsque l’exception se transforme en permanence, un déficit de crédibilité s’installe.

Les Guinéens ne sont pas insensibles aux réalités de la gouvernance. Beaucoup reconnaissent certains acquis de la transition. Mais reconnaissance ne signifie pas adhésion électorale—surtout lorsque celui qui promettait l’impartialité sollicite désormais l’onction populaire.

C’est ici que le positionnement de Yero Baldé devient stratégiquement décisif. Sa campagne n’a nul besoin de diaboliser la transition ; il lui suffit de poser une question simple mais dérangeante : la transition devait-elle préparer la démocratie, ou s’y substituer ?

Comme l’écrivait Hannah Arendt, « le révolutionnaire le plus radical devient conservateur le lendemain de la révolution ». Les dirigeants de transition échouent souvent non parce que leurs adversaires sont irréprochables, mais parce que les citoyens sentent que la vertu révolutionnaire s’est figée en permanence politique.

Un terrain inégal n’est pas une fatalité

Il serait malhonnête de nier l’inégalité du terrain électoral guinéen. Suspensions de partis, contraintes réglementaires et restrictions médiatiques ont réduit l’espace de compétition. Ces conditions favorisent incontestablement les sortants, surtout lorsqu’ils disposent de leviers sécuritaires et administratifs.

Mais l’inégalité n’équivaut pas à l’inéluctabilité. L’expérience comparée—en Afrique comme ailleurs montre que des candidats d’opposition peuvent l’emporter dans des environnements contraints lorsque trois facteurs convergent : l’unité, la participation et la protection du vote.

Pour Yero Baldé, l’enjeu est donc de dépasser le statut de candidat parmi d’autres et de devenir le centre de gravité d’une convergence civile. Une opposition fragmentée est le meilleur allié du pouvoir en place. Une coordination stratégique, même minimale, autour de l’objectif du retour à la normalité institutionnelle peut transformer radicalement les équilibres.

Le quotidien avant les grands récits

En période de tension économique, les électeurs sont moins sensibles aux idéologies qu’aux réalités de la survie quotidienne. Inflation, électricité, carburant, chômage, coût de la vie : voilà les véritables terrains de la persuasion politique.

C’est ici que le profil technocratique de Yero Baldé joue en sa faveur. Fort d’une expérience ministérielle dans l’enseignement supérieur et d’une exposition au-delà des cercles politiques traditionnels, il peut se présenter non comme un simple candidat de protestation, mais comme un gestionnaire crédible de l’État. La contestation mobilise ; la compétence rassure.

Comme le rappelle Amartya Sen, le développement passe par la suppression des « non-libertés ». La précaritééconomique en est une—et c’est précisément là que les candidats civils peuvent dépasser les régimes fondés sur la sécurité.

La frontière décisive : protéger le vote

Dans les contextes de faible confiance, les élections se gagnent souvent après le scrutin. Le véritable champ de bataille n’est pas la tribune, mais le dépouillement. Une trajectoire crédible vers la victoire pour Yero Baldé repose sur une architecture rigoureuse de protection du vote : agents formés dans les bureaux, documentation systématique des incidents, compilation parallèle des résultats lorsque possible, réponse juridique rapide et communication publique maîtrisée. Ces dispositifs ne garantissent pas la victoire, mais ils en augmentent la crédibilité et le coût politique de toute manipulation.

Comme l’a justement rappelé l’ancien président de la Cour suprême kényane Willy Mutunga : « Les élections ne sont pas des événements, ce sont des processus. » Et ce processus doit être défendu jusqu’au dernier bulletin.

Pourquoi Yero—et pourquoi maintenant ?

Paradoxalement, les compétitions contraintes favorisent parfois l’émergence rapide d’alternatives crédibles. Lorsque les figures traditionnelles de l’opposition sont absentes ou disqualifiées, l’électorat se mobilise autour de la solution civile la plus viable.

Yero Baldé s’inscrit précisément dans cette convergence : suffisamment expérimenté pour gouverner, suffisamment détaché des vieux appareils pour symboliser le renouveau, et suffisamment civil pour incarner la normalisation institutionnelle. Il ne se présente pas seulement contre Doumbouya ; il se présente contre la banalisation électorale du pouvoir militaire.

Conclusion : une possibilité, pas une illusion

Soutenir qu’Abdoulaye Yero Baldé peut battre Mamady Doumbouya n’est pas un exercice de naïveté. C’est reconnaître la volatilité structurelle des élections de transition, l’érosion progressive des légitimités fondées sur la promesse, et la capacité des citoyens organisés à surprendre le pouvoir.

Une victoire exigerait unité, discipline, crédibilité économique, retenue stratégique et vigilance électorale constante. Elle exigerait de substituer l’organisation à la bravade. Si la campagne de Yero Baldé devait adopter un mot d’ordre à la hauteur de l’enjeu, ce ne devrait pas être : « Nous allons gagner. »Mais quelque chose de plus sobre—et de bien plus redoutable :

« Nous allons nous organiser. Et nous protégerons le vote. »

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