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Structuration du fonds souverain guinéen : enjeux, risques et recommandations

La Guinée se trouve à un tournant stratégique de son développement économique. Forte de ses ressources naturelles, notamment le minerai de fer du projet Simandou, le pays envisage la création d’un fonds souverain pour transformer ces richesses en investissements durables et équitables. Cette initiative s’inscrit dans le cadre du programme « Simandou 2040 », porté par le Président de la Transition, le Général Mamadi Doumbouya, visant à faire de la Guinée un modèle de développement durable sur les 15 prochaines années.

Pour concrétiser cette volonté, le gouvernement guinéen a sollicité l’expertise de cabinets internationaux de renom :

– SouthBridge :dirigé par l’ancien Premier ministre béninois Lionel Zinsou, ce cabinet accompagne la Guinée dans la structuration du fonds souverain, en veillant à ce que sa gouvernance soit alignée sur les standards internationaux.

– Rothschild & Co :cette banque d’affaires assiste le pays dans l’amélioration de sa notation auprès des agences internationales, un élément crucial pour attirer les investisseurs et garantir la crédibilité financière de la Guinée.

– KPMG :ce cabinet d’audit et de conseil est chargé du cadrage technique du programme, en s’assurant que les actions entreprises sont en adéquation avec les objectifs stratégiques fixés par le gouvernement.

Ces collaborations témoignent de la volonté de la Guinée de s’appuyer sur des partenariats internationaux solides pour assurer la réussite de son fonds souverain et, plus largement, de son programme de développement.

  1. L’importance du Fonds Souverain pour la Guinée : 

    La création du fonds souverain de la République de Guinée est un projet stratégique à long terme, visant à gérer les revenus tirés des ressources naturelles, notamment du minerai de fer de Simandou, et à les réinvestir dans des secteurs clés pour le développement du pays. Ce fonds a plusieurs objectifs :- Diversification de l’économie :actuellement, l’économie guinéenne repose fortement sur l’exploitation minière (bauxite, or, fer, etc.). Le fonds souverain peut investir dans l’agriculture moderne pour une autosuffisance alimentaire durable, dans les industries de transformationpour ajouter de la valeur localement et enfin dans les services numériques et les télécommunications pour intégrer l’économie numérique.

    Cela permettrait de réduire la dépendance du pays aux exportations de ressources naturelles et promouvoir d’autres secteurs clés de l’économie.

    – Création de richesses et d’emplois :le fonds permettra de financer des projets générateurs d’emplois à travers des investissements stratégiques dans les secteurs productifs.

    En réservant une part de son capital pour le privateequity ou les fonds d’amorçage (fonds alloués au lancement d’un projet pour permettre la prospection de marchés et le développement de produits ou de services), le fonds souverain pourrait appuyer les petites et moyennes entreprises guinéennes, génératrices d’emplois et d’innovation.

    – Soutien à la résilience économique :il servira de coussin de sécurité pour faire face aux chocs économiques exogènes, en particulier les fluctuations des prix des matières premières.

    L’objectif final est de créer un mécanisme de financement autonome, capable de financer des investissements dans l’infrastructure, l’éducation et la santé sans recourir systématiquement à l’aide internationale.

  1. Défis, limites et risques du Fonds Souverain : 

    Malgré les nombreux avantages, la création d’un fonds souverain comporte également des défis :

  1. Faible participation de l’État guinéen dans le projet Simandou :
    Actuellement, la Guinée détient une participation de seulement 15% dans le projet Simandou, les parts majoritaires étant contrôlées par des consortiums étrangers tels que Rio Tinto et Winning Consortium Simandou. Cette faible participation limite la part des revenus miniers revenant à l’État guinéen, réduisant ainsi les ressources disponibles pour alimenter le fonds souverain.
  1. Absence de transformation locale du minerai et d’infrastructures financières locales : 

    Le modèle actuel repose sur l’exportation du minerai de fer brut, sans transformation locale. Cela prive la Guinée de la valeur ajoutée liée à la transformation du minerai, qui pourrait générer des revenus supplémentaires et créer des emplois. Par exemple, une tonne de minerai brut à $ 120 peut être transformée en acier vendu à $ 600 la tonne sur le marché international.La Guinée devra aussi renforcer ses institutions financières locales (banque centrale et banques commerciales) pour gérer efficacement les fonds et les investissements.

  1. Risque de gouvernance et manque de transparence : 

    La réussite d’un fonds souverain repose sur une gouvernance transparente et efficace. Cependant, la Guinée a été confrontée à des défis en matière de gestion des revenus miniers, notamment en raison de la corruption et du manque de transparence dans la publication des contrats miniers et des recettes générées. Bien que des progrès aient été réalisés avec l’adoption de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE), des efforts supplémentaires sont nécessaires pour garantir une gestion optimale des ressources naturelles.La Guinée devra donc mettre en place une gouvernance rigoureuse pour éviter les dérives financières et garantir la transparence des investissements réalisés par le fonds.

  1. Risques environnementaux et sociaux : 

    L’exploitation du projet Simandou pourrait avoir des impacts environnementaux significatifs, notamment en matière de déforestation, d’érosion des sols et de pollution des eaux. De plus, environ 20 000 personnes vivant dans la région de Simandou risquent d’être déplacées. Des tensions pourraient surgir si les compensations ne sont pas équitables et si les bénéfices économiques du projet ne sont pas répartis de manière inclusive.

  1. Risque de dépendance exclusive aux revenus miniers : 

    Les fonds souverains sont souvent exposés à des risques liés à la volatilité des marchés financiers, surtout lorsque le pays repose fortement sur les ressources naturelles.Fonder donc le développement économique sur les seuls revenus miniers expose la Guinée à des déséquilibres économiques, notamment en cas de chute des prix des matières premières. Une diversification de l’économie est essentielle pour assurer une croissance durable.

  1. Risque économique global et politique : 

    L’instabilité économique mondiale pourrait affecter les investissements du fonds, surtout si ces derniers sont exposés à des marchés internationaux volatiles.L’instabilité politique et les changements de régimes par des moyens non démocratiques pourraient aussi avoir des impacts sur le fonds, car il pourrait y avoir non seulement une révision des priorités stratégiques du fonds ; le gel, le détournement ou laréaffectationdes ressources mais également la désignation de nouveaux responsables non fondée sur critères techniques.

  1. Risque de dépendance du pouvoir en place et de manque d’encadrement institutionnel : 

    Si le fonds est trop dépendant de l’exécutif ou d’un cercle restreint de décideurs, sans garde-fous institutionnels, il devient vulnérable à une gestion opaque et politisée.Les décideurs du fonds vont prendre des décisions motivées par des intérêts à court terme ou électoralistes, dans ce sens, le fonds risque d’avoir une perte de crédibilité auprès des partenaires nationaux et internationaux.

  1. Recommandations pour le succès du Fonds Souverain 

    Pour que le fonds souverain de la Guinée soit un véritable succès, plusieurs mesures doivent être prises ou envisagées :

  • Révision et/ou renégociation des accords miniers : 

    L’objectif est d’augmenter la participation de l’État dans le projet Simandou pour assurer une meilleure redistribution des profits.En effet, en détenant une plus grande part dans ce mégaprojet minier, l’État guinéen augmente directement sa part dans les dividendes et les revenus générés ; il aura un pouvoir décisionnel plus fort dans les grandes orientations du projet.Il peut canaliser davantage de ressources vers les services publics (éducation, santé, infrastructures) et réduire la dépendance aux seules recettes fiscales ou royalties.

    Avec une participation plus importante, l’État peut aussi imposer des quotas d’emplois pour les Guinéens ; le développement de la sous-traitance locale ainsi des programmes de formation et de transfert technologique.

  • Renforcement de la gouvernance et des capacités institutionnelles : 

    Le renforcement des capacités institutionnelles et la formation des cadres sont des piliers essentiels pour garantir l’efficacité, la transparence et la durabilité du futur fonds souverain. La Guinée doit donc investir dans la formation de ses cadres pour assurer une gestion professionnelle du fonds.La gouvernance du fonds doit reposer sur une structure solide, indépendante et professionnelle. Cela nécessite des institutions dotées de compétences juridiques, économiques et financières avérées ; des organes de gouvernance (conseil d’administration, comité d’investissement) formés et capables de prendre des décisions stratégiques en toute indépendance et une transparence accrue pour renforcer la confiance des citoyens et des partenaires.

    Le Fonds devra aussi s’aligner sur les meilleures pratiques internationales, pour cela, il doit adopter les standards de bonnes pratiques fixés par le Forum International des Fonds Souverains (IFSWF) ;intégrer des considérations ESG (environnementales, sociales, gouvernance) dans ses investissements ; avoir une application stricte des normes de conformité et de contrôle interne ; nouer des partenariats internationaux solides et former une nouvelle génération de cadres guinéens spécialisés dans la gestion de portefeuilles et dans la gestion de fonds souverains pour assurer la continuité institutionnelle.

  • Diversification des sources de financement et des Partenariats : 

    Bien que les revenus de Simandou soient un atout, mais la diversification des sources de financement du futur fonds souverain de Guinée est une condition essentielle pour assurer sa robustesse, sa stabilité et son efficacité sur le long terme, le fonds ne peut pas être trop dépendant des ressources naturelles.D’autres sources (agriculture, télécoms, taxes spécifiques, dividendes d’entreprises publiques, etc.) doivent être explorées pour stabiliser les flux d’alimentation du fonds.Réduire l’impact d’un secteur en difficulté sur le fonds et s’adapter aux priorités nationales selon les cycles économiques.

    Le fonds doit aussi attirer les financements privés et nouer des partenariats stratégiques.Pour ce faire, il doit faire des co-investissements avec des fonds souverains étrangers ou des institutions financières internationales, émettre des obligations souveraines vertes (green bonds) ou sociales pour des projets spécifiques sur les marchés financiers et favoriser une gestion proactive de sesactifs en investissant dans différents secteurs de croissance (infrastructures, technologie, santé, énergie renouvelable, etc.).

    Il doit surtout développer une stratégie d’investissement moins risquée et plus performante en soutenant le tissu économique national, notamment les PME.

  • Protection de l’environnement et des communautés locales : 

    La protection de l’environnement et des communautés locales doit être un pilier fondamental du fonds souverain de Guinée, non seulement pour respecter les engagements du pays en matière de développement durable mais aussi pour garantir la légitimité sociale et la stabilité des investissements à long terme.En effet, les activités minières, principales sources de revenus pour le fonds, ont souvent provoqué des tensions avec les populations locales (expropriations, pollution, déplacements, promesses non tenues).C’est pourquoi, le fonds souverain de Guinée doit faire preuve de responsabilité pour intégrer des mécanismes de compensation, de dialogue communautaire et de réinvestissement local pour éviter les conflits et assurer la paix sociale.

    Le fonds doit s’aligner avec les normes internationales et les ODD, pour cela, il doit s’atteler à financer des projets à impact environnemental positif en soutenant des programmes de reforestation ou de protection des écosystèmes.Financer des infrastructures vertes (énergie solaire, assainissement, gestion des déchets) et investir dans une agriculture durable ou la gestion intelligente de l’eau.

    Cela contribue à réduire l’empreinte écologique du pays et à créer de nouveaux leviers économiques.

    Conclusion :

    La création d’un fonds souverain en Guinée constitue une étape stratégique pour transformer les ressources naturelles du pays en leviers d’investissement à long terme et de développement durable. Ce mécanisme pourrait permettre une gestion plus efficace et équitable de la richess1e nationale tout en assurant une meilleure résilience économique. Toutefois, pour que cette ambition devienne une réussite tangible, il est essentiel de surmonter des défis majeurs, notamment en matière de gouvernance, de transparence, de diversification économique, de gestion des risques, ainsi que de protection de l’environnement et des communautés locales. Une approche rigoureuse, fondée sur une collaboration étroite entre l’État, les experts nationaux et internationaux ainsi que les partenaires techniques et financiers est indispensable pour faire de ce fonds un véritable pilier du développement durable de la Guinée.

    Mamadou Djouldé DIALLO
    Jeune citoyen

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