A l’heure ou l’UNESCO s’apprête à fêter ses 80 ans, l’organisation traverse une crise existentielle. Entre guerres qui ressurgissent aux portes de l’Europe et du Moyen- Orient, montées des extrêmes, désinformation massive et retrait fracassant des Etats Unis, l’institution créée en 1945 pour bâtir la paix par l’éducation, la science et la culture est fragilisée comme jamais. Dans ce contexte tendu, la bataille pour la direction générale prend une dimension hautement symbolique.
Et c’est un homme du sérail, mais résolument tourné vers l’universel, qui s’invite dans l’arène : Firmin Edouard Matoko, actuel Sous-directeur général du Secteur pour la priorité Afrique et les Relations extérieures de l’UNESCO.
Un diplomate de terrain, enraciné dans l’institution
Diplômé de l’Université « La Sapienza » de Rome en Sciences économiques, mais aussi de Florence et de Paris en relations internationales, Matoko est depuis plus de trois décennies une figure familière des couloirs de l’UNESCO. Loin d’être un technocrate hors sol, il a multiplié les expériences de terrain : Directeur des bureaux de l’organisation à Quito, Bamako et Addis- Abeba, représentant auprès de L’Union africaine et de la CEA, chef de programmes pour l’éducation à la paix et la démocratie… Sa trajectoire épouse les lignes de fracture et d’espérance de la planète.
Auteur de travaux pionniers sur les mécanismes traditionnels de prévention des conflits en Afrique, lauréat du Prix international de littérature(ADELF), Matoko se définit moins comme un « apparatchik » que comme un homme de la maison, qui « sait où se trouvent les changements possibles et ce qui peut se faire immédiatement ». Une expérience précieuse à l’heure où l’UNESCO cherche à se réinventer.
Une vision claire: moins de bureaucratie, plus de solutions
Dans son entretien accordé récemment à nos confrères de RFI, le diplomate a livré les axes de sa vision : « Ce qu’il faut apporter, ce sont des solutions pragmatiques face à l’inefficacité. A l’extrême bureaucratisation et à la politisation du système ».
S’il reconnait l’importance d’initiatives emblématiques comme la réhabilitation de Mossoul, il insiste : « On peut faire plus, on peut faire mieux. » Pour lui, l’UNESCO doit rester fidèle à son mandat technique et intellectuel, non se perdre dans des médiations politiques stériles.
Un candidat universel face au risque du bloc régional
La candidature Matoko trouve un écho particulier dans le débat français. Dans une tribune remarquée, plusieurs députés se sont insurgés contre le choix de l’Elysée de soutenir l’égyptien Khaled El-Enany, parlant d’une « faute politique » qui risquerait « placer l’organisation sous le contrôle d’un même bloc régional ». Une telle orientation, rappellent-ils, « trahirait l’esprit de l’UNESCO » et affaiblirait sa vocation universelle.
En ce sens, le profil de Firmin Edouard Matoko apparait comme l’alternative crédible. Non pas le représentant d’un camp ou d’un groupe géopolitique, mais le porteur d’une candidature ouverte : « je ne suis pas le candidat d’une région, je suis le candidat de toutes les nations, de tous les peuples » affirme- t-il.
L’audition de Firmin Edouard Matoko, le 30 septembre 2025, à l’assemblée nationale sous la présidence de Mme Nadège Abomangoli, vice-présidente de la Commission des affaires étrangères, a été l’occasion d’un témoignage marquant. Trois fois porte-parole du président de l’Assemblée générale, un diplomate chevronné a pris la parole pour affirmer sans détour : « Nous avons bel et bien dans cette salle le meilleur candidat ».
Un jugement étayé par une observation directe à New York. « À l’extérieur du Hall de l’AG mais aussi dans les couloirs et dans la ville même », où dit-il, au-delà de « l’érudition, de la passion pour la vérité, des connaissances, du caractère polyglotte » de M. Matoko, c’est surtout « dans le regard de ceux qui l’observaient une véritable adhésion » qui s’est manifestée. Recentrant le débat. Il a invité les uns et les autres à « continuer à faire pression sur le gouvernement » et aller au bout de leur logique.
« Sur la scène internationale, nous parlons de plus en plus du multilatéralisme qui est attaqué. Mais si nous n’avons pas les convictions de nos propres propos, si nous ne choisissons pas les meilleurs candidats aux postes les plus importants et les plus influents, comment pourrons nous éviter que le multilatéralisme ne soit attaqué ? »
Des lors, sa conclusion prend la forme d’un appel vibrant : « Si nous avons le meilleur candidat, et cela est une évidence, comment se fait-il que le multilatéralisme permette, dans des jeux compliqués, qu’un pays si important pour la culture comme la France fasse le choix qu’il a fait ? […] je pense que nous sommes peut-être à la 23e heure, peut être à la 24e. Arriverons-nous à la 25e heure ? Je pense qu’il faut continuer jusqu’au vote, à faire toutes les pressions possibles pour que le meilleur candidat gagne. »
Le candidat qui rebat les cartes
Longtemps donné favori, Khaled El Enany, ancien ministre égyptien des Antiquités, a vu son avance s’éroder. Comme le relève Financial Afrik, « cette élection autrefois jouée d’avance est désormais relancée ».Soutenu par l’Union africaine, appuyé par la SADC et par l’Afrique du Sud, Firmin Edouard Matoko incarne une candidature de l’intérieur, crédible et rassembleuse.
Polyglotte, reconnu pour sa maitrise du multilatéralisme, il capitalise sur une campagne offensive qui séduit un nombre croissant de délégations. Loin d’être intimidé par le calendrier, il rétorque : « Je suis candidat depuis trente ans, depuis le premier jour où je suis entré à l’UNESCO »
Préserver l’universel, préserver l’UNESCO
A deux mois du scrutin décisif, le duel reste ouvert. Mais une chose est claire : au-delà des jeux d’alliances, la question centrale demeure celle du sens. L’UNESCO, maison commune de la paix et de l’universel, a besoin d’un dirigeant qui sache conjuguer enracinement et ouverture, rigueur technique et souffle politique. Firmin Edouard Matoko se présente comme cet homme d’équilibre, porteur d’une conviction chevillée au corps : préserver l’UNESCO, c’est préserver l’universel.
Par Jos Blaise Mbanga Kack