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Trois organisations de la Société civile demandent au gouvernement de mettre fin au harcèlement judiciaire pour faire taire les activistes.

ARTICLE 19, Tournons la Page (TLP) – Guinée et l’Organisation Guinéenne de défense des Droits de l’Homme et du Citoyen (OGDH), appellent les autorités guinéennes à œuvrer en faveur de la liberté d’expression et de réunion et à mettre fin aux arrestations, détentions et poursuites d’individus pour avoir exprimé leurs opinions. Les organisations saisissent cette occasion pour exprimer leur profonde inquiétude quant au recours du  harcèlement judiciaire pour réduire au silence les militants pro-démocratie, les activistes, ainsi que des journalistes en Guinée 

Le 10 juin 2021, l’activiste Oumar Sylla, connu sous le nom de Foniké Menguè, responsable de la mobilisation du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) et Coordonnateur Adjoint du mouvement citoyen TLP – Guinée a été condamné à 3 ans de prison pour « communication et divulgation de fausses informations, menaces de violence ou de mort ». Sa condamnation fait suite à une étrange tournure des événements. Les autorités ont apparemment combiné deux affaires contre lui, dont l’une semblait avoir été abandonnée auparavant.

La première affaire concernait son arrestation le 17 avril 2020, après sa participation à l’émission « Les Grandes Gueules » sur Radio Espace FM, où il dénonçait les arrestations arbitraires et les abus survenus dans la ville de N’Zérékoré le 22 mars 2020 lors du référendum constitutionnel et des élections législatives. Le 24 avril 2020, il a été accusé de « diffusion de fausses informations » et a été placé en détention provisoire pendant 4 mois. Par la suite, les charges retenues contre lui ont été abandonnées par le tribunal de première instance le 20 août. Le procureur a immédiatement fait appel de cette décision et les autorités auraient continué à le détenir arbitrairement en prison jusqu’au 27 août.

Le 29 septembre 2020, Foniké a été arrêté sans mandat d’arrêt, par des hommes en civil dans les rues de Matoto à Conakry, alors qu’il s’apprêtait à participer à une manifestation organisée par le FNDC pour protester contre la candidature du Président Alpha Condé à un troisième mandat. Le 21 janvier 2021, Foniké a été reconnu coupable et condamné à 11 mois de prison au tribunal de Mafanco pour « participation à un attroupement de nature à troubler l’ordre public ». Ses avocats ont fait appel de cette décision. Les deux affaires ont été portées devant la Cour d’appel en mai, le président de la cour a décidé de faire jonction de ces deux affaires dans la même procédure le 3 juin 2021, avec comme pour seule accusation « communication et de divulgation de fausses informations ». Malgré les informations selon lesquelles le procureur avait requis deux ans de prison et l’amende de 20.000.000 francs guinéens environ (1.653 euros), le tribunal l’a tout de même condamné à trois ans.

Le 19 mai 2021, le journaliste Amadou Diouldé Diallo de la Radio Télévision Guinéenne (RTG) a été libéré après près de trois mois de détention. Il avait été arrêté le 27 février 2021 suite à ses propos sur la fermeture par la Guinée de ses frontières terrestres avec les pays voisins peu avant l’élection controversée d’octobre 2020. Ces déclarations auraient été faites lors d’une émission de radio intitulée « œil de lynx » le 21 janvier 2021. Il a été accusé d' »offense au chef de l’État » le 1er mars 2021, reconnu coupable et condamné à payer une amende de 5 millions de francs guinéens (415 euros) par le tribunal de première instance le 19 mai.

Le 2 juin 2021, Alpha Diallo, journaliste-blogueur, a été arrêté et détenu au poste de police de Sonfonia/Conakry après un contrôle routier qui a mal tourné alors qu’il était en service et revenait d’une enquête sur le terrain. Bien qu’Alpha ait présenté la preuve qu’il était journaliste avec son ordre de mission, il a été battu et agressé lors de son arrestation. Même s’il a été libéré après une journée de garde à vue, il a tout de même comparu devant un juge pour « outrage à agent ». Le 15 juin 2021, il a été condamné à une amende de 500 000 francs guinéens (41,49 euros). Alpha Diallo est une voix critique en Guinée et a dénoncé à plusieurs reprises les coupures d’Internet dans le pays lors des élections et des manifestations.

Les décisions prises par les tribunaux à l’encontre des activistes et des journalistes semblent manquer d’impartialité et sont disproportionnées. En vertu du droit international des droits de l’homme, toute législation restreignant le droit à la liberté d’expression doit répondre aux critères de légalité, de nécessité et de proportionnalité. Cela signifie que la limitation doit : être prévue par la loi, poursuivre un objectif légitime et être nécessaire dans une société démocratique. En outre, la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique 2019 stipule que les personnalités publiques doivent tolérer un plus grand degré de critique que les citoyens ordinaires et que les sanctions ne doivent jamais être si sévères qu’elles interfèrent avec l’exercice du droit à la liberté d’expression. Elle exige en outre que les États abrogent les lois qui criminalisent la sédition, l’insulte et la publication de fausses nouvelles.

Ibrahima Diallo du FNDC et ses collègues de la société civile pendant une manifestation dans les rues de Conakry

Les dispositions relatives aux fausses informations contenues dans les lois ont souvent un champ d’application vague, ce qui signifie que les autorités pourraient les interpréter comme leur donne le pouvoir discrétionnaire de restreindre un large éventail de discours ; et certaines semblent poursuivre des objectifs qui ne seraient pas considérés comme « légitimes » au regard des normes internationales relatives aux droits humains. L’interdiction et les autres restrictions légales concernant le partage de « fausses informations » peuvent donner lieu à des abus et avoir un effet dévastateur sur le discours politique. La liberté d’expression et de manifestation est garantie par la constitution guinéenne, ainsi que par les normes internationales. Les autorités ne doivent donc ni étouffer ces libertés ni intimider les activistes et les journalistes qui s’expriment sur des questions liées à l’élection présidentielle ; la justice doit être fondée sur les principes de la démocratie, impartiale et objective.

Contexte

En octobre 2019, la Guinée a connu de fortes tensions depuis l’annonce de la révision constitutionnelle qui a donné au Président de la République le pouvoir de briguer un troisième mandat. Les manifestations organisées pour contester cette décision ont été violemment réprimées, plusieurs décès et arrestations d’opposants et de manifestants ont été enregistrés tout au long de la période électorale. Certains activistes, opposants ont été arrêtés sans mandat le 6 mars 2020 avant l’élection et en mi-décembre après l’élection. En outre, les autorités auraient ciblé les personnes soupçonnées de manifester et les auraient arrêtées et détenues arbitrairement pendant plusieurs semaines, souvent sans mandat, sans inculpation et sans accès à leurs avocats ou à leur famille. Beaucoup ont passé des mois sans être présentés à un juge. ARTICLE 19Amnesty International et certaines Organisations de défense des droits de l’homme ont dénoncé à maintes reprises les atteintes à la liberté d’expression, les conditions de détention difficiles, qui ont entraîné la mort d’au moins quatre personnes, dont trois militants de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG). Cela a conduit la communauté internationale à exhorter les autorités à enquêter sur ces violences et à traduire les auteurs en justice. En février 2021, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a déclaré : « L’arrestation et la détention de membres de l’opposition et d’activistes de la société civile sous de fausses accusations d’atteinte à la sécurité intérieure de l’État, dans le contexte de l’élection présidentielle de l’année dernière, sapent gravement les fondements de la gouvernance démocratique«  et a, en outre exhorté les autorités à « libérer toutes les personnes détenues pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et de manifestation et à garantir des procès équitables aux personnes accusées d’infractions pénales ».

Le gouvernement a finalement réagi en libérant certains d’entre eux et en les traduisant en justice. À ce jour, il est difficile d’obtenir des chiffres sur le statut des personnes arrêtées et libérées dans le cadre de l’élection présidentielle. Les autorités doivent de toute urgence fournir un rapport complet et partager ces informations avec la communauté nationale et internationale. Elles doivent également veiller au respect des droits de l’homme, cesser tout harcèlement judiciaire, toute menace et toute intimidation à l’encontre des opposants et des militants.

Les organisations de la société civile appellent les autorités à :

– Libérer immédiatement et sans condition Oumar Sylla, arrêté pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression ;
– Veiller à ce que la liberté d’expression et de manifestation soit respectée conformément aux normes régionales et internationales ;
– Abroger toutes les sanctions pénales qui criminalisent la publication de fausses nouvelles, l’insulte et l’offense au chef de l’État, conformément aux normes internationales ;
– Mettre fin aux harcèlements judiciaires contre les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme, les dissidents politiques et les manifestants.

 Ont signé:

Alfred Bulakali, Directeur Régional ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest.
Ibrahima Diallo, Coordonnateur du mouvement citoyen »Tournons la page » – Guinée
Souleymane Bah, Président de l’Organisation Guinéenne de défense des Droits de l’Homme et du Citoyen (OGDH)

Sénégal/Afrique de l’Ouest/West Africa
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