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« Moi d’abord, la Guinée après »

Le « moi » est haïssable, car il incarne le vice de l’égoïsme, tandis que l’altruisme fait germer la générosité et nourrit un amour authentique pour autrui. La Guinée, si elle aspirait à la charité et se fondait sur des valeurs d’humanité et de solidarité, deviendrait cette famille unie, assez forte pour rester indivisible. Une belle vision, certes, mais qui demeure un vœu pieux : l’harmonie parfaite, la communion fraternelle, l’entraide face à l’individualisme triomphant, etc. Autant de bonnes intentions dont, comme le dit l’adage, « l’enfer est pavé ».

La fraternité, l’exemplarité, le patriotisme, l’éthique et la vertu ne sont plus que des antiennes, des slogans d’un autre âge, une vue de l’esprit, des vœux ambitieux qui tardent à se réaliser, sans cesse contrariés et remis en cause par les divisions stériles au sein de la société et par les aspirations égocentriques prégnantes.

Dans une famille digne de ce nom, personne, pour rien au monde, n’abandonne les autres. On marche ensemble, la main dans la main, côte à côte, en rangs serrés, dans l’union des cœurs et la communion des esprits. On est lié par un pacte de sang qui oblige et dure toute la vie.

Or, de tout temps, dans notre pays, chacun prêche pour sa propre chapelle, feignant de défendre des valeurs et l’intérêt de tous, mais privilégiant le « moi » et le « surmoi » à la communauté de destin, au sentiment d’appartenance commune à une même nation. Ici, plus qu’ailleurs, « l’enfer, ce sont les autres ».

Personne ne se sent concerné lorsque l’autre est brimé ou opprimé. Nul ne se met à la place d’autrui. Tant que l’on n’est pas soi-même lésé, persécuté ou frustré, on ne se lance dans aucun combat d’intérêt général, ni ne se risque à défendre une cause profitable à tous. Tant que l’on est dans les petits papiers des dirigeants, murmure à leurs oreilles ou espère d’eux des faveurs, on ne sait pas s’indigner ; on s’interdit de protester et de dénoncer. Rien ne vient troubler le sommeil ni interpeller la conscience.

On le sait tous, mais certains, qui se prennent pour des « surhommes », ont du mal à l’accepter, aveuglés par leurs passions, bercés par leurs fausses certitudes, venus trop tard dans un monde trop vieux. Heureusement que l’illusion ne tue pas et que chacun admet au moins que la critique est aisée et l’action difficile.

Voyons seulement la réalité en face, sans œillères : des citoyens ou acteurs qui sont dans le malheur ou paraissent vaincus sont relégués à l’oubli, bannis des cœurs, alors que, lorsqu’ils étaient vent debout contre l’oppression et la tyrannie, ils étaient soutenus, encouragés et applaudis de tous. À peine leurs noms sont-ils évoqués que le traitement qui leur est réservé révolte.

Ils ont été là pour les autres et en souffrent aujourd’hui dans leur chair et leur âme. À part quelques personnes, animées du même idéal que les « oubliés » et qui continuent d’ameuter l’opinion, c’est, dans l’ensemble, silence radio. On en voit même dans l’espace public qui alternent réquisitoires contre les mauvaises pratiques et travers de la société, et éloges des bourreaux. Comprenne qui pourra.

La justice à géométrie variable, dont l’évocation agace tant. La justice sera, ou ne sera pas. Autant de fois que ce sera nécessaire, ce sera dit et répété.

En attendant, la compassion pour les victimes du moment ? Seules leurs familles, leurs proches, leurs amis se souviennent encore d’elles, souffrent de leur absence, refusent de se résigner à la fatalité. Pourtant, les compatriotes confrontés à l’indifférence, abandonnés à la solitude des épreuves qu’ils traversent, sont des patriotes engagés et convaincus qui ont renoncé au confort de la lâcheté pour embrasser l’aventure incertaine de la liberté et de la lutte pour le salut de tous.

Ils ont fait le choix noble de faire corps avec leur peuple et de relayer ses souffrances et ses espoirs, plutôt que de se résigner à l’injustice ou de basculer dans le camp des vainqueurs.

Ils savent que ceux qui sont forts sont rarement justes, et que ceux qui sont justes finissent toujours par être forts.

La voix silencieuse et les cris de cœur désespérés d’un peuple peuvent être étouffés un certain temps, à certaines époques de l’histoire, mais ce ne sera jamais une symphonie inachevée. On entend dire que ceux qui ont payé un lourd tribut pour leur engagement noble et leurs convictions bien trempées auraient eu tort de se sacrifier pour les leurs, et qu’ils sont les seuls responsables de leurs mésaventures. Ils n’auraient pas compris qu’il ne sert à rien de se battre pour un peuple de tout temps résigné à son sort et soumis à ses dirigeants, quels qu’ils soient, qui qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, quoi qu’ils puissent faire.

Ils se seraient engagés, à corps perdu, dans un combat supposément vain pour des compatriotes qui n’en vaudraient pas la peine. Tous ceux qui ont pris le parti du pays, ont choisi de se ranger derrière le peuple, aussi bien les pionniers que les contemporains, il est vrai, furent incompris et laminés.

Ils ont croupi en prison, ont été poussés à l’exil, parfois éliminés, sans que grand-monde ne bouge ni que personne ne s’en émeuve outre mesure. Même leurs mémoires ne sont pas souvent respectées, car, pour justifier leur maltraitance, on les accable de tous les péchés d’Israël.

Et comme il y a le jugement sentencieux des hommes et le regard implacable de l’Histoire, ils n’ont pas manqué de prendre leur revanche sur le destin en s’immortalisant par leurs œuvres de courage et d’ultimes sacrifices. Ceux qui fuient la difficulté de résister et la servitude de s’opposer ne laissent pas de traces, disparaissent dans l’oubli, effacés par le temps, sortis des mémoires.

Les destins tragiques, forgés dans la douleur et l’abstinence, portés par des convictions inébranlables, garantissent l’immortalité, alors que la vie d’homme servile et accommodant est sans gloire ni honneurs. Mieux vaut partir en martyr que de vivre couché sous un joug impitoyable et une domination cruelle.

Étienne de La Boétie, auteur du Discours de la servitude volontaire, le rappelle à ceux qui en douteraient encore : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. »

Avoir le genou plié ou la tête haute dépend de chacun : on mène la vie qu’on veut dans les conditions qu’on détermine, en acceptant le fait accompli ou en décidant de prendre en main son destin, sans hésiter ni trembler.

Par Tibou Kamara

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