Officiellement, la Garde des Sceaux a été démise de ses fonctions le 31 décembre pour refus d’exécuter une instruction du président de la transition. Ce dernier souhaitait recevoir le 2 janvier 2022 « le personnel de la justice pour des échanges axées sur la Politique pénale de la Transition ». En réalité, c’est la Justice qui perd une manche dans le bras de fer engagé avec ce que nombre d’observateurs appellent le fameux gouvernement parallèle rongeur d’attributions de la Garde des Sceaux Soumah nommée le 2 novembre 2021, et de celles d’autres membres du gouvernement Mohamed Béavogui.
Le fusible devait sauter depuis la démission avortée du Premier ministre. Il a fallu trouver l’occasion de faire avaler la pomme à dame Soumah. A la date du 29 décembre 2021, la goûte d’eau a été envoyée via une correspondance descendant du Ministère secrétariat de la Présidence de la République sans que le Premier ministre, duquel la pauvre ministre reçoit des instructions, ne soit informé.
Il lui est annoncé à titre d’information, ceci : « J’ai l’honneur de venir par la présente vous tenir informé que Son Excellence Monsieur le Président de la Transition recevra, le 2 janvier 2022 à 14 heures, au Palais Mohammed V, le Personnel de la Justice, notamment les Chefs de Juridictions et de Parquet. Au cours de cette audience (…), les échanges seront axés sur la Politique Pénale de la Transition ».
A la fin de la correspondance, le signataire, colonel Amara Camara, lui «souhaite bonne réception». Cette manière de faire du chef du Ministère secrétariat général de la présidence marque un point d’arrêt de – ce que le Colonel Camara appelle dans sa lettre d’information – la « franche collaboration » avec l’ancienne présidente de la Chambre des notaires nommée cheffe de ce ministère de souveraineté le 2 novembre 2021.
La réponse ne se fait pas attendre. Le 31 décembre 2021, la ministre Soumah écrit et signe une lettre-réponse pour «attirer» l’attention du Colonel Camara sur le fait qu’en son rang et qualité de Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Droits de l’homme, c’est plutôt à elle que revenait l’honneur «de solliciter une telle audience et d’en informer le cas échéant le ‘‘Personnel de la Justice’’ dont (elle reste et demeure, jusqu’à preuve du contraire) la seule et unique autorité hiérarchique ». Au second paragraphe de sa lettre-réponse, la Garde des Sceaux enfonce le clou, en ces termes : « Aucune autre autorité administrative que moi n’est habilitée à convier le ‘‘Personnel de la Justice’’, notamment les magistrats à quelque réunion» que ce soit.
Pour le confondre définitivement, elle enchaîne que « la politique pénale de la Transition, qui est celle de la Nation et de l’Etat, ne se discute pas entre le Président de la Transition et le ‘‘Personnel de la Justice’’, mais entre le Président de la transition, son Premier ministre, le Ministre de la justice et des Droits de l’homme (qu’elle est) et, en Conseil des ministres». Ce, « conformément au décret (en vigueur) sur les attributions » du ministère qu’elle dirige.
Pour conclure, la ministre cite quelques lignes du rôle dévolu à son ministère et « demande » au Ministre Secrétaire général « de bien vouloir annuler la rencontre projetée ». Sans attendre de connaître ce que sera la réaction de la Présidence, la ministre Soumah fait part à certains de ses proches son intention de rendre le tablier en signe de protestation aux différentes épreuves que les membres du gouvernement traversent ces derniers jours de l’année.
A l’immédiat, la lettre parvient à son destinataire. De même que la nouvelle de la lettre de démission en cours. La teneur de la réplique et la menace de démission mettent dans tous ses états la Présidence de la République. La sanction «est décidée». Ordre est donné de la faire remplacer dare-dare par son Secrétaire général.
Son sort de Garde des Sceaux est scellé. Le décret la limogeant est publié dans la soirée du 31 décembre. Elle n’a pas eu le temps d’ouvrir sa lettre de démission à la presse. La ministre malmenée est prise au dépourvu. Toute opportunité de sortir par la grande porte lui est fermée au nez. La notaire devient, à son corps défendant, la première de la barque Béavogui à être éjectée.
Toutefois, avec l’orage qu’il fait, c’est la famille de la Justice dans son ensemble qui perd une manche dans son bras de fer avec la Présidence. Mais le risque de voir d’autres membres de l’équipage sauter est grand. Le malaise étant profond, de l’intérieur du navire Béavogui, d’autres ministres brimés dans leurs droits de proposer à des postes de nomination par décret ne vont pas tarder à retrouver dame Soumah sur la berge.
Par Le Populaire