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Guinée: les grimaces d’une intelligentsia divisée

Le livre d’Amadou Lamarana Diallo présenté à Conakry le samedi 21 décembre 2019, les Guinéens ont accueilli et célébré un nouveau livre : « Guinée : les grimaces d’une intelligentsia divisée ». L’essai de 180 pages s’ouvre sur une citation du médecin, anthropologue, psychologue social et sociologue français Gustave Le Bon, qui interpelle ainsi les intelligentsias de tous les pays : « Le véritable progrès démocratique n’est pas d’abaisser l’élite au niveau de la foule, mais d’élever la foule vers l’élite ».

L’événement se déroule au siège du Centre international de recherche et de documentation (Cird) situé à Kipé-Dadya. C’est vers la mer, à quelques pas de la Maison des jeunes. Dans ce beau duplexe du quartier chic de la commune de Ratoma à Conakry, une foule composé de chercheurs, uni-versitaires, administrateurs, parlementaires, banquiers, économistes, écrivains, activistes de la société civile et du leader politique Bah Oury, est au rendez-vous. Le président de l’Association des écrivains de Guinée, le journaliste, consultant et auteur Facély II Mara plante le décor. Le représentant du ministère en charge de l’Enseignement supérieur Selly Camara ouvre la cérémonie en présence du directeur adjoint du Cird Dr Ramadan Diallo. M. Mara dresse le portrait de l’auteur. Amadou Lamarana Diallo prend la parole. Il présente son livre. Le Populaire saisit le laïus que voici en termes de témoignages, questions soulignées dans les paragraphes, réponses et exemples pris chez nos cousins burkinabé et sénégalais.

Laïus

Partout dans le monde, les élites sont les moteurs de la marche des peuples et constituent des modèles que sont censés suivre les masses. Elles ont toujours eu des noms et des renommées selon les pays. Le plus célèbre de ces noms est le mot «intelligentsia» longtemps resté dans le contexte de la Russie tsariste avant de s’étendre à toutes les personnalités publiques bien éduquées pour enfin concerner tous «ceux qui, de leur lumière, guident vers la raison»: professeurs, chercheurs, ingénieurs, chefs religieux, poètes, artistes, artisans, ect. Lorsqu’on veut adresser un message à un pays, une société, un peuple, on apostrophe tout d’abord cette intelligentsia. A celle-ci d’en tirer profit au bénéfice de tous, de tous les membres de la communauté humaine concernée et plus largement au profit de l’humanité entière. En interrogeant l’histoire d’une nation on fait à la fois le bilan et le procès des intelligentsias qui se sont succédées aux périodes historiques considérées. Aucun membre de ces intelligentsias ne pourra se dérober à ce jugement implacable de l’histoire. L’intelligentsia a un rôle aux facettes multiples que résument les mots suivants : écouter, lire, relire dans le temps et l’espace, exploiter, s’entre-écouter, échanger, rentabiliser, partager et préserver. Pour jouer ce rôle éminent, il lui faut du calme, de l’attention, d’amour de l’autre, de capacité de création et de consensus.

Témoignages…

Le livre d’Amadou Lamarana Diallo et tente par quelques témoignages de montrer que l’intelligentsia guinéenne n’a pas toujours pu jouer ce rôle et avoir les qualités qui lui sont indispensables. Surtout elle a été incapable de s’entre – écouter et par conséquent son action aura été très limitée en matière de consensus depuis septembre 1958. Que les idées germent de l’intérieur ou viennent de l’extérieur, les intellectuels guinéens semblent souvent ne pas se sentir collectivement concernés. Ils sont à chaque instant entrain de marcher à saute-mouton et de manière dispersée à travers les étapes historiques récentes. Cette tare n’est pas prête à quitter l’intelligentsia guinéenne. Et celleci ne semble pas vouloir s’en débarrasser. Aussi, des opportunités majeures d’exploiter les idées et les expériences lui ont échappé. Il semble important de rappeler quatre morceaux de discours que des hommes guinéens et étrangers qui ont visité la Guinée ont adressé aux intellectuels guinéens à des dates différentes et relativement éloignées les unes des autres : Le Général De Gaulle en 1958, lors de son discours devant l’Assemblée Territoriale disait entres autres : « Je crois … que nous sommes sur une terre et dans un monde où les réalisations sont nécessaires si l’on veut que les plus humbles sen-largetiments aient un avenir quelconque. Nous sommes sur une terre et dans un monde où les réalités dominent comme elles l’ont toujours fait. Il n’y a pas de politique qui ne prenne pour base à la fois les sentiments et les réalités… La route ne sera pas facile ; il y aura beaucoup d’obstacles sur le chemin des hommes d’aujourd’hui et les paroles n’y changent rien ». Fidel Castro en 1973, devant les populations de Faranah qui venaient de l’accueillir avec le président Ahmed Sékou Touré disait à son tour : « En Asie, j’ai vu un Peuple combattant ; c’est le Peuple vietnamien ! Dans le monde arabe, j’ai vu un Peuple travailleur, c’est le Peuple algérien ! En Afrique subsaharienne, j’ai vu un Peuple mobilisé, c’est le peuple de Guinée ! Guinéens, je viens de traverser votre pays de Conakry à Faranah ; j’ai vu des plaines, des montagnes, des vallées, des forêts et des rivières. J’ai vu des chutes magnifiques et des torrents ! Mais je n’ai pas vu de champs, de plantations, de jardins ni d’animaux domestiques ! Guinéens travaillez ! On ne peut pas vaincre l’impérialisme en lui tendant la main ! » Le chef de l’État cubain avait dit plus que ça mais ce paragraphe était destiné aux oreilles et aux mains de tous ses amis guinéens en particulier à la fière intelligentsia guinéenne de ce temps et de tous les temps. Un ambassadeur de la Cedeao en poste à Conakry en 2008 Ibn Chambas, aujourd’hui représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Afrique de l’Ouest et du Centre, avertissait l’intelligentsia guinéenne sur les ravages de ses manoeuvres sociopolitiques qui ont fait de la Guinée « un oiseau perché sur l’arbre et regardant éternellement son ombre». C’était lors des Journées de dialogue et de concertation organisée sous l’égide et l’initiative du ministre de la Réconciliation nationale, de la Solidarité et des relations avec les Institutions.

Questions…

Un paysan guinéen anonyme n’a pas hésité à poser pertinemment la question : « Quand finira l’indépendance ? ». Ces hommes en parlant si fortement aux oreilles des intellectuels guinéens étaient convaincus que ceux-ci sont capables d’écouter les autres. Mais s’étaient-ils posés la question suivante : leurs auditeurs sontils capables de s’entre-écouter pour débattre des idées émises à l’intérieur ou venant de l’extérieur et en tirer le meilleur profit pour leur pays ? Comme ces hommes, ce livre se veut un message adressé à l’intelligentsia totale de la Guinée : intelligentsia politico-administrative, intelligentsia scientifique, intelligentsia religieuse et communautaire. Il est évident que les intellectuels guinéens parlent beaucoup surtout des richesses potentielles de leur pays qu’ils ont si heureusement nommé scandale géologique. Ils ont l’attention rivée sur les mines et la terre de Guinée. Ils ont même envie de manger la Guinée crue et de se dévorer entre communautés électorales vaillamment conduites par des élites politiques à court d’idées stratégiques. Dans ce livre il y a beaucoup de choses dont une histoire de mines et de terre, la gestion des ordures et les magouilles occultes organisées loin du pays, la construction nationale, l’animation de la République et surtout l’assemblée nationale, la Ceni et la diplomatie. Dans un chapitre entier il est constaté que la Ceni s’est donnée une profession et une vocation : fatiguer et torturer le peuple de Guinée. La douloureuse renaissance parlementaire, inhérente aux grimaces de la Ceni, y est décrite telle qu’elle s’est passée sous vos yeux et sur une scène de théâtre caractérisée entre autres par la danse des vedettes entre mouvance et opposition. Finalement se pose la question si une révolution républicaine aurait été possible au parlement. Vous verrez en lisant le livre pourquoi la réponse ne peut être que négative.

Réponses En matière de diplomatie, l’ouvrage insiste sur l’amitié didactique entre la Guinée et la France et la vertu du sourire en tant que stratégie de conquête de l’autre et moyen irremplaçable en matière de diplomatie. Le texte est inspiré des relations entre les guinéens et Mandela tel qu’il les raconta dans son livre « un long chemin vers la liberté ». Une interrogation fondamentale termine ce chapitre : et si ceux qui avaient dit en soussou « i ya tagi yayilan » (arrange ton visage) s’adressaient – sans le savoir – à la Guinée entière, dans son histoire, sa géographie, sa diplomatie et son fonctionnement institutionnel ? L’intelligentsia guinéenne doit fortement travailler à sortir la Guinée de la dérive des visages et à soigner son vocabulaire politique et culturel largetiments ment tourné contre l’image de marque de son pays. Ici on oublie souvent que ce vocabulaire rejaillit sur la personnalité de base de la société. Aussi un pays ressemble toujours à ce qu’en disent ses habitants ; les guinéens semblent dire que « la Guinée est vilaine » ; c’est probablement pourquoi elle n’est pas si belle dans ses villes, son monde rural, son environnement, son agriculture et depuis un certain temps dans ses productions culturelles.

Le langage actuel est, faut-il le dire, très décourageant. Ouvrez le dictionnaire et voyez que signifie le mot « scandale » dans ce que vous nommez scandale géologique. Ce changement profond de langage a des références en Afrique. On se se souvient qu’un pays s’est donné le nom de Pays Arc-en-ciel pour effacer le plus horrible des systèmes politiques, l’apartheid ; un autre a choisi de s’appeler Pays des hommes intègres. Faites-y un tour, vous revenez avec un joli boubou fait d’un Faso danfani authentique. Allez tout à côté au Sénégal, où on considère que la beauté et l’exemple sont tout d’abord sénégalais. Promenez-vous dans le monde ; les sénégalais sont partout placés aux centres des décisions stratégiques dans une parfaite solidarité patriotique au service du rayonnement du Sénégal. Les querelles électorales ne sont làbas que de petites blagues de parenté à plaisanterie menées dans la l’ambiance, la souveraineté totale et la responsabilité. Ce sont là des exemples à suivre. Bien partie en 1958, l’intelligentsia guinéenne aura fait les frais du langage de la division tant et si bien que les rebondissements historiques épisodiques démarrent et se terminent toujours dans les incertitudes. Ce n’est pas le contexte actuel qui peut démentir ce constat. Et puis, actualité oblige, les facteurs entretenant la violence d’Etat, la prime à l’impunité et favorisant toutes ces vagues de jeunes se rendant en Occident par des voies irrégulières et qui exposent leurs vies aux dangers de la traversée du Sahara et de la méditerranée non pas parce qu’ils sont tous issus des couches économiquement défavorisées en Guinée, et de ce fait ne sont tous à la recherche de meilleure éducation, de bon emploi ou encore d’asile, amène à poser la question de savoir : Est-ce un sort maléfique administré à un peuple par son intelligentsia..

Par Le Populaire

 

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