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Contrats d’Etat et contrats de l’Etat : effort d’éclairage terminologique à l’endroit du Conseil des ministres de Guinée

Dans un exercice de transparence dans la gestion des affaires publiques, Mme Aminata KABA, ministre de l’Information et de la Communication a sacrifié, ce jeudi 23 février 2023 à l’exercice de compte rendu du Conseil ordinaire des Ministres. Cette épreuve démocratique de reddition des comptes portait sur quatre (4) points qui sont : 1- Message du Président de la Transition ; 2- Compte rendu de la session ordinaire du Conseil interministériel du mardi 21 février 2023 ; 3- Point de situation sur les onze (11) instructions du Chef de l’Etat ; 4- Décisions du Conseil des Ministres et 5, Divers.

S’agissant du deuxième point inscrit à l’ordre du jour, la porte-parole de ce Conseil des Ministres précisera d’emblée que l’intervention du Premier ministre tourne autour de trois points qui sont : 1- La finalisation et la validation des plans d’action opérationnel et le tableau de suivi des évaluations ; 2- Le lancement des travaux du Comité permanent du dialogue inclusif et du secrétariat technique ; et 3, le compte rendu de sa visite de terrain dans région administrative de Faranah. Excusez du peu !

Ce dernier point déroulé du 16 au 21 février 2023 consistait notamment à évaluer les projets publics et programmes en cours d’exécution dans cette région. Sur dix-sept (17) chantiers, projets publics le PM fait le constat que « les marchés ont été attribués à des entreprises sans capacités financières ; les marchés ont été attribués à nos propres compatriotes sur des critères de militantisme politique. Maintenant que des décaissements sont faits, seul un suivi rigoureux nous permettra de faire sortir du sol ces projets. Les gouverneurs, préfets, sous-préfets et les services d’inspection n’ayant pas une connaissance des contrats exécutés sur leurs territoires juridiques, restent étrangers aux investissements publics. Les entrepreneurs font ainsi de l’argent public ce qu’ils veulent. Plusieurs projets sont ainsi à la traine ou gelés ». Selon le Compte rendu de Madame la Ministre, (nous y arrivons), le Premier ministre a rappelé que « notre défi majeur en tant que gouvernement à compter de maintenant est de renforcer les contrôles des CONTRATS D’ETAT par tous les moyens ». Nous y voilà, la notion est martelée. D’ailleurs, poursuivant son allocution, la porte-parole renchérit que pour le chef du gouvernement, « Le retard de notre pays est en grande partie dû à la non-exécution de certains CONTRATS D’ETAT, notamment les contrats d’infrastructure ». Ce n’est donc pas une maladresse langagière, le gouvernement utilise bien le concept de Contrat d’Etat.

D’emblée, il convient de souligner que cet exercice d’éclairage terminologique auquel nous nous livrons souffre d’un déficit. Celui de l’accès effectif aux contrats dont fait allusion Madame la ministre afin d’en apprécier la nature et le régime juridique de ceux-ci. Toutefois, cette difficulté du chercheur est atténuée par le fait que la porte-parole donne des faisceaux d’indices qui permettent d’avoir une lecture claire des types de contrats concernés. C’est donc l’intérêt de la restitution ci-dessus des propos de Madame KABA.

Pour nous, la question est de savoir si les contrats décrits par la ministre de l’Information sont effectivement des Contrats d’Etat, ou, seraient-ce des contrats de marchés publics ou autre contrats de commande publique irrégulièrement qualifiés ? Les contrats de commande publics se confondent-ils aux contrats d’Etat ? Ces différentes réalités juridiques sont elles soumises au même régime juridique ? Les parties aux contrats de commande publique et contrats d’Etat peuvent-elles être confondues ? Au-delà de tout, que le Conseil des Ministres soit le cadre d’un tel amalgame juridique traduit-il (le cas échéant) une légèreté au sommet de l’Etat ?

  • Les faisceaux d’indices comme des contrats de commande publique.

Les commandes publiques renvoient à différents mécanismes juridiques par lesquels le maître d’ouvrage, personne morale de droit public ou de droit privé exprime ses besoins en biens, services ou travaux. Ces contrats lient alors les parties soit à travers un contrat de marché public, ou une délégation de service public.  A défaut d’accéder aux contrats concernés, le compte rendu détaillé qui nous a été offert lève un coin du voile autour de certains éléments des accords juridiques analysés. Madame KABA annonce notamment (au risque de nous répéter) que « les marchés ont été attribués à des entreprises sans capacités financières ; les marchés ont été attribués à nos propres compatriotes sur des critères de militantisme politique ». Cette affirmation, si elle soulève la violation du Code des marchés publics notamment les articles 62 du décret de 2019[1] portant sur les exigences économiques et financières des candidats et soumissionnaires et l’article 2 de la loi 2012[2] qui postule le principe de concurrence, elle permet surtout d’identifier l’autre partie au contrat. En l’espèce, tout porte à croire qu’il s’agit de sociétés privées soumises au droit interne et communautaire des affaires.

  • Les contrats de commande publique ne sont pas des Contrats d’Etat

Eh oui, il y a certes Contrat, il y a assurément la présence de l’Etat dans ces contrats présentés par Madame la ministre, on comprend donc la tentation vers la simplification Contrat + Etat = Contrat d’Etat. Mais il n’en est rien. Les éléments à notre disposition à la lecture du compte rendu inspirent un peu plus de retenues. C’est quoi un Contrat d’Etat. Le Contrat d’Etat « peut être défini comme un contrat conclu entre l’État ou un organisme public qui, aux fins présentes, peut être défini comme un organisme créé par la loi au sein d’un État auquel est conféré le contrôle d’une activité économique, et un ressortissant étranger ou une personne morale de nationalité étrangère  [3]». S’ils s’appliquent dans les domaines de l’énergie, des infrastructures et autres, soulignons que « l’une des formes les plus communes de contrat d’Etat est le contrat d’exploitation des ressources naturelles, appelé parfois accord de concession  [4]».

Il apparaît clairement que nous n’avons pas affaire aux mêmes parties au contrat. Alors que dans le cadre des contrats évoqués en conseil des ministre la porte-parole souligne que « les entrepreneurs indélicats » sont des compatriotes guinéens, l’essence même des contrats d’Etat est qu’ils mettent en relation juridique à travers des conventions d’établissement[5] des investisseurs étrangers et des autorités locales. Les contrats d’Etats à la différence des marchés publics brillent ainsi par leur « internationalisation ». Considérés comme domaine de prédilection du « principe de l’autonomie de la volonté[6] » des parties impliquées, ces conventions disposent généralement de clauses de détermination de la loi applicable mais aussi d’identification des modes de règlement des différends. Les contrats doivent être analysés en relation avec les traités bilatéraux et multilatéraux d’investissement et autres architectures juridiques se rapportant au droit transnational[7]. A titre illustratif, relevons qu’au « sens du droit international des investissements, le contrat d’extraction demeure un contrat d’Etat et constitue ainsi la principale loi applicable entre l’Etat et l’investisseur en cas de différends[8]  ».

En outre, pendant que les contrats internes (marchés publics, délégations de service public, Partenariats Public-Privés) sont soumis au contrôle des institutions internes de suivi et de contrôle (pour les marchés publics, exceptés le cas échéant, ceux réalisés sur financement extérieur[9]), les conventions d’établissement encore appelées Contrat d’Etat ont un mécanisme désétatisé de suivi des opérations d’investissement. Sur le régime juridique applicable, sur l’identité des parties comme sur le mode de règlement des différends, les Contrats d’Etat ne sauraient, valablement, être confondus aux Contrats de l’Etat du simple fait du critère organique. D’ailleurs, même dans les contrats de commande public, le critère organique (présence d’un personne publique) est inopérant[10].

  • Le Conseil des Ministre, cadre d’un amalgame juridique

Le contexte de cette confusion juridique ne plaide pas en faveur de l’exécutif de la transition. Si ces propos avaient été tenus au cours d’un entretien téléphonique ou à l’occasion d’une réponse quotidienne d’un ministre à une question d’un journaliste, on ne ce serait sans doute pas attarder. Mais non. La confusion est ténue par la porte-parole (pour ce numéro tout au moins) du gouvernement, à l’occasion du compte rendu du Conseil des Ministre. Cadre de travail dans lequel « sont préparés et débattus les projets de textes relevant de la compétence du Président (décrets du Président de la République, ordonnances) et les projets de loi[11] » le Conseil des Ministres est assurément l’instance d’impulsion coordonnées (entre le Président de la Transition et son Premier ministre) des orientations politiques.  S’il n’est pas un organe décisionnel, il faut toutefois souligner que dans le cadre du « partage de compétences administratives [12]» entre le Président de la République et le Premier ministre, certaines attributions du Président sont exercées à l’occasion de ce conseil au sommet de l’exécutif dont le constituant a régulièrement précisé qu’il est présidé par le Président de la République[13]. Comme pour marquer la solennité de ce cadre de travail, l’article 30 du décret 2018[14] organisant l’Administration Publique guinéenne dispose que « les services centraux sont crées et organisés par Décret pris en Conseil des Ministres après avis du Ministre en charge de la Fonction publique ».

En définitive, le compte rendu du Conseil des Ministre en date du 23 février suscite des interrogations. L’exécutif de la transition dans son « œuvre de refondation » gagnerait à plus de rigueur terminologique.

[1] Décret D/2019/333/PRG/SGG du 17 décembre 2019, portant Code des Marchés Publics guinée

[2] Loi L/2012/020/CNT du 11 octobre 2012, fixant les règles régissant la passation, le contrôle et la régulation des marchés publics et délégations de services publics.

[3] Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED), Les contrats d’Etats, Collection de la CNUCED sur les questions des Accords Internationaux d’Investissements, Nations-Unies, New York et Genève, 2004, p3.

[4] Ibidem ;

[5] Jean-Claude GAUTRON « Les contrats d’établissement conclues par le Sénégal avec des entreprises », Annuaire français de droit international, vol.14, 1968, p.655.

[6] Achille NGWANZA, « L’arbitrage en matière extractive », In NGWANZA Achille et LHUILIER Gilles, Le contentieux extractif, Paris, chambre de commerce internationale ICC, 2015, p227.

[7] Gilles LHUILLIER, Le droit transnational, Paris, Dalloz, septembre 2016, 522p.

[8] Ali KAIROUANI, Les contrats d’Etat dans les industries extractives africaines au regard de la jurisprudence du CIRDI, Penant, Revue trimestrielle de droit africain, Paris, N°913, p917, pp913-933.

[9] Voir l’article 4 du nouveau code des marchés publics de 2019 portant sur les marchés sur financement extérieur.

[10] A la suite d’une jurisprudence constante, on peut citer l’arrêt CAA Marseille, 25 février 2010, commune de Rognes, n°07MA03620.

[11] Rémi ROUQUETTE, Dictionnaire du droit administratif, Le Moniteur, Paris, 2002, p184.

[12] Jacques CHEVALLIER, Science administrative, Presses Universitaires de France, Paris, 1986, p319.

[13] Voir l’article 45 de la Constitution de 2010 de la République de Guinée.

[14] Décret D/2018/112/PRG/SGG portant promulgation de la Loi L/2018/025/AN du 03 juillet 2018 portant Organisation Générale de l’Administration Publique.

Mamadou Ciré DIALLO
Juriste, Chercheur, Consultant en Droit Public
Droit extractif (Mines & Pétrole).
Université Clermont Auvergne (UCA) France
Université Cheikh Anta DIOP de Dakar (UCAD), Sénégal
[email protected]

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