L’ancien Premier ministre du régime du troisième mandat balayé le 5 septembre 2021 est au cœur d’un procès aux multiples enjeux. Ibrahima Kassory Fofana est poursuivi pour détournement de deniers publics, enrichissement illicite et blanchiment de capitaux. Il encourt cinq ans de prison, assortis d’une amende de cinq milliards de francs guinéens et de la confiscation de ses biens.
Mais au-delà des charges judiciaires qui pèsent sur lui, une question persiste : cette lourde réquisition est-elle une conséquence directe de ses actes présumés ou la sanction d’un affront à la CRIEF ?
Depuis son incarcération en avril 2022, Kassory Fofana et ses avocats ont adopté une posture de défiance envers la Cour de Répression des infractions économiques et financières (CRIEF). Ils qualifient cette juridiction de « justice au service des hommes du coup d’État » et dénoncent une parodie de procès. Son refus de se présenter à la barre s’inscrit dans cette logique de rejet, et il a clairement signifié au peuple guinéen qu’il ne reconnaissait pas la légitimité de cette Cour pour le juger.
Or, dans un État qui cherche à imposer son autorité et à affirmer la crédibilité de ses institutions, cette attitude ne pouvait rester sans conséquence. Dès lors, la sévérité des réquisitions peut être perçue comme une réponse politique autant que judiciaire : une manière pour la CRIEF de montrer qu’aucun responsable, aussi influent soit-il, ne peut s’affranchir de ses convocations sans en subir les effets.
Le procureur spécial, Aly Touré, a affirmé que si le cumul des infractions était appliqué, Kassory Fofana risquerait jusqu’à 50 ans de prison. Cette déclaration interroge : le dossier est-il si accablant ou cherche-t-on à faire un exemple ?
Dans ce pays où la corruption a gangrené l’administration pendant des décennies, l’opi-nion publique attend des sanctions exemplaires. Toutefois, la justice ne doit pas devenir un instrument de règlement de comptes politiques.
Si la CRIEF veut prouver son indépendance, elle devra démontrer que la peine requise repose uniquement sur des preuves solides et non sur la volonté de punir un homme qui a refusé de se soumettre à son autorité. Dans le cas contraire, ce procès pourrait être perçu comme un avertissement à tous ceux qui oseraient défier le pouvoir en place.
Le 13 février prochain, la justice guinéenne devra trancher. La décision qui sera rendue ne concernera pas seulement Kassory Fofana, mais l’avenir même de la CRIEF et de l’État de droit en Guinée. Une condamnation fondée sur des preuves indiscutables renforcerait la lutte contre l’impunité. À l’inverse, si des doutes subsistent sur l’équité du procès, la légitimité de cette juridiction risque d’être fragilisée.
Kassory Fofana est-il jugé pour ses actes ou pour avoir tenu tête à la CRIEF ? La réponse sera révélatrice de l’état de la justice en Guinée et de sa capacité à s’affranchir des pressions politiques.
Par Alpha Abdoulaye Diallo