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Béatitude et servitude du pouvoir (Par Tibou Kamara)

Le pouvoir agit comme un opium lorsqu’on y prend goût et qu’on ne parvient plus à en garder une certaine distance. Son exercice prolongé s’avère un poison lent et mortel, sans antidote.

Souvenir ! J’avais rendu visite, dans un passé très lointain, au très énigmatique, charismatique et taciturne président déchu de la République du Burkina Faso, Blaise Compaoré. Il était encore aux affaires et ne manquait aucune occasion d’avoir des discussions avec des hommes et des femmes de divers horizons.

Le temps était comme celui qu’on rencontre souvent dans le Sahel, enveloppé d’une certaine moiteur, bercé par un vent sec, alourdi d’une forte chaleur qui surgit et accable dès que le soleil darde ses rayons, dont on est soulagé qu’une fois la nuit tombée.

Le « beau Blaise » m’avait reçu dans l’une des « villas Kadhafi », attenantes au palais de Kosyam où il avait ses bureaux et sa résidence officielle aussi. L’entretien du jour s’était déroulé dans une certaine intimité, réservée habituellement aux visiteurs privilégiés et amis chers. J’avais rencontré un homme, comme toujours affable, calme et humble, semble-t-il, absent aussi, comme perdu dans un tourbillon de pensées confuses et mélancoliques.

Le locataire d’alors de Kosyam n’avait rien perdu de sa superbe et disposait de toutes ses facultés. Cependant, il paraissait gagné par l’ennui, le spleen et la lassitude d’un règne long et interminable. L’usure du pouvoir, dirait-on, ou la solitude silencieuse et insoupçonnable d’une longévité exceptionnelle au sommet de l’État. Avec l’érosion du temps, les années qui se succèdent, gouverner, diriger un pays qui pourrait paraître exaltant au début, n’est plus que l’ombre glaciale d’une apparente lumière, un visage plein de rides, avec de nombreuses blessures et cicatrices.

« Chaque fois que je reviens d’un voyage, un peu avant que l’avion qui me transporte ne se pose sur le tarmac, je contemple Ouagadougou, et ressens une curieuse sensation : comme blasé, j’éprouve le besoin pressant et irrépressible de me détacher pour vivre une autre expérience. Je savais, à l’avance, ce qui m’attend chaque fois : retrouver la routine de mes fonctions, la même vie que je mène depuis si longtemps que je n’y vois plus d’intérêt particulier », avait confié l’illustre homme, partagé entre le dépit d’une certaine monotonie et le désir d’accéder à un répit, à un repos, à une retraite bien mérités.

Quand on est à la tête d’un pays depuis des lustres, ce n’est pas de rester aux commandes qui hante forcément, c’est comment partir de la scène qui peut obséder et troubler le sommeil. « Si ça ne tenait qu’à moi, j’aimerais faire mes adieux », avait déclaré, dans un soupir discret, Blaise Compaoré. Je le sentais sincère et vrai, et devinais ses tourments personnels, ses doutes, ses interrogations, ses déchirements intérieurs qu’il venait de confesser avec une certaine émotion.

Le piège du pouvoir, un fardeau sans échappatoire

Je repense souvent à ma conversation avec l’ancien homme fort du Burkina Faso, d’autant que beaucoup ne se doutent pas qu’à un moment donné, le pouvoir peut être un lourd fardeau à porter, peut se révéler un piège se refermant sur ceux qui le détiennent, en jouissent ou sont appelés à l’exercer. On y vient un peu par hasard, ou on y arrive par accident, en tout cas, il résulte toujours d’un concours de circonstances extraordinaire.

Il est autant difficile de s’en défaire que d’en sortir indemne, sain et sauf, parce qu’il use et corrompt, n’a pas d’amis, ne garantit rien à personne, ne protège d’aucun danger, expose à toutes les tentations. Peut-on en partir pour toujours ? Non ! Chaque fois, il y a comme un goût d’inachevé, un sentiment de nostalgie ou encore une obsession de revanche. Le départ est soit ajourné, soit reporté, ou le retour programmé.

L’envie de recommencer ne s’estompe guère, traverse le temps et résiste à la raison et à la sagesse. Qui a le pouvoir ou le veut est rarement capable de lucidité et de discernement. Il n’y a que de la passion !

Comme pour tout le reste, malheureusement, il n’y a pas d’éternité possible ni de contrôle total et absolu des événements et de l’agenda. La fin est à entrevoir et à préparer, malgré tout.

Blaise Compaoré a connu des fortunes diverses pendant toute sa présidence mythique qui a assez duré pour être oubliée de sitôt : il a inspiré à la fois crainte, méfiance et admiration, a connu la gloire avant d’être confronté à la disgrâce, fut proche de son peuple qui l’a porté au pinacle avant de se retourner contre lui en le forçant à abandonner le pouvoir et le pays.

Le retour tant espéré par lui sur la terre de ses ancêtres, dans son Burkina natal qu’il a dirigé de longues années, se fait attendre. Toutes les tentatives et médiations pour mettre fin à son exil n’ont pas été couronnées de succès, car la question divise l’opinion nationale et constitue une source de tensions internes et externes.

La dernière fois que Blaise Compaoré a foulé le sol du Burkina Faso, qui porte son empreinte indélébile, où son ombre continue de planer encore, il ne semblait pas trop le bienvenu, ni ouvertement désiré. L’image d’un homme affaibli par le poids des ans et la maladie, toujours sournoise, isolé, banni dans son propre pays, ayant l’air vaincu, a fait le tour du monde, ému plus d’une personne et rempli de chagrin tous ceux qui ont connu et côtoyé le personnage au faîte de sa puissance.

Il aurait pu reprendre à son compte la tirade de Don Diègue dans Le Cid de Corneille pour lui aussi se lamenter des lauriers perdus : « Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse (disgrâce aussi, ici) ennemie, n’ai-je donc tant vécu (régné pour Blaise) que pour cette infamie ? » Avant d’ajouter d’autres propos encore de Don Diègue : « Œuvre de tant de jours en un jour effacée ».

Naturellement, la question qui a suivi après l’accueil timide réservé au chef d’État burkinabé le plus marquant de l’histoire fut de se demander si le pouvoir vaut la peine d’être vécu et s’il n’est pas ennemi de l’homme qu’il use et avilit comme le temps qui l’efface et fait oublier.

Au crépuscule du IIIe Reich allemand, Hitler, se sentant abandonné et trahi par ses plus proches collaborateurs et son propre peuple, avait lancé avec amertume et indignation : « Je ne pleurerai pas le peuple allemand ».

Les chefs d’État renversés ou destitués ne plaignent pas leurs peuples qu’ils considèrent comme ingrats et oublieux, tandis que ces derniers non plus ne se hâtent pas de les pleurer ou de les regretter.

Quelle histoire !

Tibou Kamara

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