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“Kassory et les autres”, ou l’art de noyer le message dans la grandiloquence

Décidément, les tribunes du journaliste et ancien ministre Tibou Kamara semblent de plus en plus déranger. La semaine dernière, certaines personnes, chez qui la critique est devenue un réflexe conditionné, et d’autres qui y voient le meilleur moyen d’attirer l’attention du pouvoir en place, ont décoché leurs flèches contre lui. En vain.

L’un de ses contempteurs, manifestement aussi sensible aux sorties de l’ancien ministre que le chien de Pavlov à son stimulus, s’est empressé de revenir à la charge. Malheureusement pour ce pamphlétaire maladroit, le résultat ressemble étrangement à ses précédentes saillies. À force d’enflure rhétorique, ses textes n’ont pas plus d’effet que des coups d’épée dans l’eau.

« Kassory et les autres : quand les pleurnicheurs chantent pour les sourds » en est la parfaite illustration. Sous ses atours lyriques et sa prose incendiaire, le texte s’écroule sous le poids de ses propres excès, tant sur le fond que sur la forme. Le projet était sans doute de pulvériser l’adversaire par les mots ; le résultat est un exercice de style qui s’écoute écrire, un feu d’artifice où la valse des métaphores peine à cacher la misère des arguments.

On y trouve une vision binaire, propre à la propagande, qui dispense l’auteur de toute analyse sérieuse des responsabilités individuelles, des processus judiciaires ou du contexte politique. Nous sommes dans l’affect pur, dans le jugement moral, mais certainement pas dans l’argumentation construite.

Cette carence intellectuelle est savamment masquée par un déploiement verbal aussi impressionnant que creux. Le texte croule sous les métaphores surabondantes et filées jusqu’à l’épuisement : « silence de vaincu », « griots de la nostalgie dorée », « parfum frelaté des privilèges perdus ». Cette grandiloquence permanente, au lieu de renforcer le propos, le noie dans une espèce de brouillard lyrique où plus rien n’est distinct. L’émotion, à force d’être martelée avec une telle lourdeur, finit par sonner faux et par lasser. On passe de la tentative de conviction à l’incantation, puis à l’irritation.

Pire encore est le recours constant à l’argument d’autorité et à la posture du prophète. L’auteur, s’érigeant en porte-voix auto-proclamé de la vox populi, parle sans cesse au nom du peuple – « Le peuple, lui, se souvient », « Nous, nous construirons » -, une stratégie rhétorique classique qui consiste à s’octroyer une légitimité incontestable pour disqualifier par avance toute objection. Cette posture s’accompagne d’un ton d’une condescendance absolue envers la cible, traitée de « pleurnicheurs » et d’« orphelins du pouvoir », un mépris qui tient lieu d’argument et qui, en réalité, discrédite profondément celui qui l’emploie.

Mais la faille la plus béante reste l’absence totale de faits, de preuves ou de données vérifiables. Le texte est une suite d’affirmations péremptoires sur « l’argent public qui s’évaporait » ou les « prédateurs des finances publiques », sans jamais citer le moindre procès, le moindre rapport, le moindre chiffre. Il se permet des comparaisons boiteuses et intellectuellement malhonnêtes, comme celle entre le sort d’un jeune voleur de téléphone et celui d’un ancien Premier ministre du régime déchu, mélangeant allègrement des délits, des procédures et des contextes juridiques radicalement différents dans le seul but de susciter l’indignation. C’est le règne du pathos pur, au mépris total de la logique et de la raison.

En définitive, l’auteur veut crier plus fort que les « pleurnicheurs », mais il ne fait qu’ajouter sa voix à un chœur qui, décidément, préfère l’insulte à la démonstration et l’emphase à la vérité. Il pensait que son texte serait une gifle, mais il relève plutôt de la grimace.

L’ART DE SE CONTREDIRE…

Dans son sillage, un autre essayiste, croyant sans doute sortir de l’anonymat où le confine son indigence intellectuelle et morale en prenant Tibou Kamara pour cible, a pensé le moment propice pour lancer un clin d’œil aux puissants du moment.

Là également, d’entrée de jeu, le ton est donné : on ne discute pas des idées, on vilipende les personnes. Les qualificatifs fleurissent – « gigolo », « ivrogne invétéré », « malotrus » – comme s’il suffisait d’insulter pour convaincre. Pure calomnie, surtout quand on sait que Tibou Kamara, selon ceux qui l’ont côtoyé, n’a jamais touché à l’alcool, et qu’il est difficile d’entrevoir la moindre motivation chez quelqu’un qui a été membre du gouvernement à plusieurs reprises de jouer au gigolo. Un ancien ministre d’Alpha Condé de la même fratrie que notre haineux censeur pourrait l’édifier à ce propos. Cette stratégie de l’argumentum ad hominem révèle une impuissance intellectuelle fondamentale : quand on n’a pas d’arguments solides, on attaque la personne.

La vision manichéenne qui sous-tend le texte est tout aussi problématique. D’un côté, les « paisibles citoyens » et le gouvernement actuel, parés de toutes les vertus ; de l’autre, les « désœuvrés », les « brutes » et les « sangsues », incarnation du mal absolu. Cette simplification outrancière nie la complexité du réel et l’intelligence des lecteurs.

Le plus troublant reste l’incroyable contradiction du propos. On reproche aux adversaires leur opportunisme et leurs revirements, mais on célèbre dans la même phrase le droit de « changer d’avis » quand il s’agit de « l’homme fort » du pays. Cette schizophrénie argumentative est la marque des discours partisans : ce qui est inacceptable chez l’autre devient vertueux chez soi. La crédibilité en prend un coup fatal.

Sur le plan formel, le texte pèche par son incapacité à maîtriser sa propre violence verbale. Les registres se mélangent dans une cacophonie stylistique : les impropriétés (« verves » pour « textes », « marier » pour « se marier à ou épouser ») côtoient les néologismes maladroits (« journaloux »). La syntaxe elle-même vacille, avec des constructions bancales (« rappeler de quelque chose » ou « sensibiliser sur quoique ce soit »).

Le sophisme le plus pernicieux réside dans l’évacuation du débat démocratique, comme dans cette affirmation : « changer d’avis est un droit et cela ne se discute pas ». Bien sûr que changer d’avis est un droit ! Mais la légitimité politique d’un revirement, elle, se discute, c’est même le cœur du débat démocratique. En démocratie, il n’y a pas que le droit, il y a aussi la droiture et sa dimension morale.

Tout comme avec le premier, chez le second (un certain Oumar Barry), la colère a submergé la raison, le mépris a remplacé l’argumentation, la vulgarité a chassé l’éloquence. On sort de cette lecture avec l’impression d’avoir assisté à une querelle de chiffoniers plutôt qu’à un échange d’idées.

Tout cela par la faute d’une hypocrisie non pas élitiste, mais de bas étage.

Par Abdou Kania KA

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