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Entretien exclusif, par Bruno FANUCCHI pour AfricaPresse.Paris (APP)
@africa_presse
.APP – Lancée en 2016 et suspendue en 2020 et 2021 en raison de la pandémie Covid-19, la Guinée Fashion Fest est de retour début juin à Conakry. Quel était à l’origine le but de cette manifestation?
Binta DIALLO – Tout a commencé quand j’achevais mes études aux États-Unis. Après plusieurs expériences dans le mannequinat, plusieurs défilés et concours de miss, je suis revenue en Afrique et j’ai participé en 2013 à la Dakar Fashion Week, organisée par Adama N’Diaye, dite Adama Paris (lire ICI notre entretien), pour laquelle j’ai défilé. L’idée est venue de là car je me suis dit : pourquoi ne pas organiser un événement similaire chez moi, à Conakry?
Ayant vu et constaté au Sénégal, comme dans bien d’autres pays, le succès des Fashion Week, qui sont des événements très tendance et glamour, qui attirent lumières et projecteurs, j’ai voulu faire la même chose à Conakry pour capter sur la Guinée l’attention des médias, les regards des hommes d’affaires et des investisseurs.
C’est ma manière à moi de contribuer au développement de mon pays. Car la mode et les défilés constituent un formidable vecteur de développement économique et une superbe vitrine culturelle pour notre pays. En associant stylistes internationaux et locaux, cela fait un mélange de cultures et la promotion des richesses touristiques du pays. Car beaucoup de participants ont découvert la Guinée à cette occasion. Cela a marché dès la première édition.
APP – Votre événement n’est-il pas soutenu par les autorités guinéennes?
Binta DIALLO – Non, malheureusement! Nous le faisons sur fonds propres et avec le seul soutien de quelques sponsors. C’est pourquoi j’invite aujourd’hui le ministère de la Culture, du Tourisme et de l’Artisanat dont le nouveau titulaire, Bill de Sam, est un artiste et chanteur connu, que nous venons de rencontrer, à s’investir dans la Guinée Fashion Fest qui donne – je crois – une belle image de la Guinée à l’international.
Ce ministère devrait nous accompagner, car les nombreux stylistes qui viennent à Conakry achètent nos tissus et les font connaître dans leurs pays respectifs. C’est donc le début d’un marché économique prometteur. Nous avons ainsi exporté en 2017 la Guinée Fashion Fest à Liège en Belgique, où nous avons fait une récolte de fonds qui a connu un grand succès. Puis j’ai été invitée récemment au Sénégal et au Bénin en tant que styliste pour représenter la Guinée. C’est positif et renforce notre démarche.
APP – Quels seront les temps forts de cette Ve édition?
Binta DIALLO – Cette Ve édition, qui se déroulera du 1er au 5 juin dans le cadre prestigieux du Chapiteau du Palais du Peuple, à Conakry, est celle de la relance de l’événement après deux ans d’interruption dûe à la crise sanitaire qui a coûté très cher à notre pays, et la Guinée Fashion Fest est l’un des plus grands événements culturels et économiques de la Guinée.
C’est donc le temps de la renaissance avec de nombreux défilés et des panels de qualité. Cette année, nous mettrons l’accent sur l’émancipation des femmes et l’entrepreneuriat féminin, en faisant le lien direct entre la mode, l’entrepreneuriat et le monde des affaires.
APP – Avant tout culturel et festif avec plusieurs défilés de mode de haute tenue, cet événement n’est-il pas aussi un rendez-vous économique important?
Binta DIALLO – Notre but est en effet de promouvoir les jeunes talents cachés de notre pays, qui n’ont pas accès à une forme de reconnaissance utile au développement de leurs carrières et de leurs entreprises, en les mettant en lumière au niveau local puis sur la scène internationale. Nous faisons cela en partenariat avec TV5 Monde, qui chaque année réalise un «documentaire» sur notre Fashion Fest, et plusieurs chaînes de télé panafricaines comme Fashion A TV, la télévision spécialisée d’Adama Paris, et quelques autres qui sont sur le bouquet de Canal+, sans oublier la RTG bien sûr.
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«C’est le bon moment
d’investir chez nous!»
APP – Sur le plan économique, précisément, quelles retombées attendez-vous de ce rendez-vous important, dans le contexte actuel, pour la Guinée et toute la sous-région?
Binta DIALLO – Après deux ans d’absence, tout est compliqué et il nous faut d’abord retrouver des sponsors. Grâce à votre site économique, qui a une grande audience en Afrique francophone, je lance donc un appel aux décideurs et opérateurs économiques qui veulent se faire connaître en Guinée. Comme le font déjà Bugis France, société spécialisée dans le textile, ou Orange Money, qui nous soutient pour la communication, et quelques autres partenaires symboliques.
APP – Diriez-vous que c’est le moment d’investir en Guinée?
Binta DIALLO – Absolument! C’est le moment de venir et d’investir en Guinée car ici, tout est à faire ou à refaire. C’est le bon moment pour mettre un pied en Guinée car il y a ici de grandes opportunités dans le tourisme, le tourisme d’affaires et l’hôtellerie notamment.
Sans parler de l’industrie de la mode, bien sûr, de l’agrobusiness, des mines et d’autres secteurs porteurs qui ne demandent qu’à se développer et à être valorisés. Personnellement, je donnerai la priorité au tourisme car, malheureusement, personne ne connaît vraiment la Guinée qui a pourtant des plages et des chutes d’eau magnifiques. Sans parler de nos forêts. C’est une destination qui pourrait être valorisée et remporter bien des devises au pays car nous avons désormais de bonnes infrastructures hôtelières.
APP – Peut-on revenir sur votre carrière personnelle de mannequin, qui vous a fait défiler pour les plus grands stylistes?
Binta DIALLO – Avant d’être mannequin et de défiler dans de nombreux pays, j’ai participé à un certain de concours de miss et compétitions de mode. En 2009, à Washington, j’ai obtenu la troisième place au concours Miss Guinée North America. J’ai alors commencé à voyager et à aller de podium en podium. J’ai notamment été au Mexique et en France où je fus en 2011 la première Dauphine de Miss Union africaine à Paris.
C’est pour moi un excellent souvenir. D’autant plus que cela m’a permis aussi de rencontrer beaucoup de gens influents et de qualité dans la mode et d’autres secteurs clés du monde des affaires que je peux aujourd’hui inviter et faire venir en Guinée, en leur disant tout simplement : j’ai besoin de votre soutien moral et financier.
Cela m’a donné une ouverture exceptionnelle en France comme aux États-Unis et d’excellentes relations fort utiles à mon pays. Puis j’ai enchaîné de nombreuses Fashion Week à Dakar, Paris, Montréal, New York, Chicago, etc. et défiler ainsi pour quelques grands stylistes africains comme Elie Kuame à New York, Kine Doine et Sadio Bée à Paris
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«La seule force qui nous anime, c’est
celle que l’on a héritée de nos parents»
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APP – La Guinée Fashion Fest, n’est-ce pas avant tout l’aventure lancée et le pari réussi de deux sœurs issues d’une région déshéritée de Basse Guinée, mais parties se former aux États-Unis?
Binta DIALLO – Vous avez parfaitement raison. Aminata, ma grande sœur, est partie avant moi aux États-Unis et c’est elle qui m’a fait venir là-bas pour la rejoindre à San Francisco, en Californie et y poursuivre mes études après une année passée en France. Puis nous avons été à Chicago où j’ai fini mon collège et ma High School.
C’est à cette époque, au lycée, que j’ai commencé à défiler et que j’ai pris goût au mannequinat. On me disait que je ressemblais à Iman, la célèbre top-model somalienne, une des icônes de la mode qui font la richesse de l’Afrique, et j’ai petit à petit découvert tout un monde et des célébrités que je ne connaissais pas.
APP – Aminata, votre sœur aînée, n’a-t-elle pas eu aussi un très beau parcours? Quelle est la force qui vous anime toutes les deux?
Binta DIALLO – C’est exact! Dès 2001, Aminata a fondé aux États-Unis la Mina Foundation Guinea pour lutter notamment contre toutes formes de violence faites aux femmes. Une fondation qui récolte aussi des fonds et fait des dons pour les plus nécessiteux en Guinée. Depuis de nombreuses années, elle est ainsi très active au sein de la communauté guinéenne.
Avec sa Fondation, qui avait déjà tant fait de choses utiles, on a imaginé et lancé ensemble en 2016 la Guinée Fashion Fest. Et le 6 décembre 2019, elle a ouvert une école de couture à Conakry pour former et insérer les jeunes filles dans la vie active, Le Centre de formation professionnelle de couture et des métiers de la mode (KPAAF) occupe aujourd’hui plus d’une centaine de jeunes Guinéennes.
La seule force qui nous anime, c’est celle que l’on a héritée de nos parents, de leur exemple et de leur générosité : on aime donner! Mon père, Thierno Alio Kade, mort en 2012, qui avait été député de Gaoual et par la suite membre de la Chambre de Commerce de Guinée avant de faire de l’import-export, aimait donner au quotidien et disait souvent : «Le peu que tu as, il faut le partager». C’est notre culture familiale. Ma sœur Aminata a un si grand cœur qu’elle partage chaque jour tout ce qu’elle a. Je salue son engagement exemplaire. Mon grand frère Elhadj Moussa vit à Bruxelles, il est également très actif dans la coopération au développement, via son ONG belge Adg-Cooperation.
APP – Comme vous menez ensemble tout un programme de développement, pouvez-vous nous en dire plus en nous donnant quelques exemples?
Binta DIALLO – Sans nous mettre en avant, nous avons en effet initié tout un programme de développement et d’aide humanitaire à l’endroit de ceux qui en ont le plus besoin. Nous avons pu reconstruire ainsi une école dans notre village natal Ndiourah, en Basse Guinée, et amener de l’eau potable dans plusieurs villes et villages. C’est concret, même si ce n’est encore qu’une goutte d’eau au regard des besoins de la population guinéenne. Améliorer la vie quotidienne de nos proches, c’est aussi le but permanent de toute notre action pour notre pays. Et de cette Ve édition de la «Guinée Fashion Fest»
Nous comptons sur vous tous puisqu’au delà de la mode, à chaque édition de la Guinée Fashion Fest, nous investissons une partie de notre bénéfice dans les œuvres sociales et humanitaires : distribution de kit scolaires et de tenues, réfections d écoles, sensibilisation aux dangers de l’immigration clandestine.
Comme vous l’avez remarqué, notre seule ambition est de mettre notre modeste expérience au service de l’émancipation des jeunes filles de Guinée et d’Afrique. Et pour cela, la culture, la mode et la formation professionnelle sont assurément les meilleurs vecteurs.
EN SAVOIR PLUS :
https://www.facebook.com/guineefashionfest/
https://www.africapresse.paris/Binta-DIALLO-La-GUINEE-FASHION-FEST-veut-faire-le-lien-entre-la-mode-l