La Constitution consacre la citoyenneté en reconnaissant au citoyen un statut, des droits et des devoirs. Parallèlement, le citoyen fait d’un texte, qui pourrait être un écrit comme un autre, un outil de gestion de la cité et de ses habitants.
Le concept « citoyenneté » date des empires gréco-latins pour remonter les temps en variant selon les époques et les régimes politiques : monarchie ou démocratie. De nos jours, le monde étant devenu un village planétaire, la notion de citoyenneté embrasse une dimension supranationale, comme la citoyenneté européenne. Elle s’est même mondialisée, d’où la citoyenneté mondiale.
Cependant, la citoyenneté, dans son entendement, a été refusée à certaines populations, bien que la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen l’ait consacré en 1789.
Régime colonial et citoyenneté
Le régime colonial a obstinément nié toute idée de nation pour les pays d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et d’ailleurs conquis par la force. Par conséquent, les peuples anciennement soumis à l’esclavage, puis à la colonisation, n’ont pas acquis le statut de citoyen.
En ce qui concerne l’Afrique occidentale française (AOF) et l’Afrique équatoriale française (AEF), les habitants étaient des « Sujets de l’Empire » ou « Sujets français ». Pourtant, la République avait remplacé la monarchie et imposé la notion de citoyenneté. Qu’à cela ne tienne. Pour toute l’AOF, seuls les habitants de ce qu’on appelait « Les Quatre Communes : Rufisque, Dakar, Gorée et Saint-Louis avaient le statut de citoyen français.
C’est Blaise Diagne (1872-1934), premier député noir à l’Assemblée nationale française, qui propose en septembre 1916, la loi qui octroie « la citoyenneté de plein exercice aux habitants des Quatre Communes du Sénégal alors colonisé par la France ».
Les autres habitants du Sénégal et des autres colonies vivaient sous le régime de « l’Indigénat ». On les appelait des « Indigènes ». Il faudra quatre décennies pour que le statut du colonisé commence à évoluer vers la citoyenneté.
De la Loi cadre de 1946 et le début de l’émancipation
Le changement de statut du colonisé est amorcé avec la Loi-cadre d’avril 1946 ou Loi Houphouët-Boigny qui interdit le travail forcé dans les territoires d’outre-mer. Cependant, la citoyenneté ou la qualité de citoyen étendue à toutes les colonies d’Afrique résulte de la proposition de loi d’un autre député sénégalais : Lamine Guèye (1891-1968).
Deuxième noir élu à la Chambre des députés, il propose une loi, la « Loi Lamine Guèye », qui sera promulguée le 7 mai 1946. Elle dispose : « A partir du 1er juin 1946, tous les ressortissants des territoires d’outre-mer (Algérie comprise) ont la qualité de citoyen, au même titre que les nationaux français de la métropole ou des territoires d’outre-mer ».
La loi Lamine Guèye met fin au Code de l’Indigénat. En outre, elle est intégrée à la Constitution française de la IVe République d’octobre 1946. L’article 16 de cette constitution parachève les dispositions de la loi cadre en stipulant : « La France forme avec les peuples d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion ».
La citoyenneté devenue institutionnelle, la Loi-cadre de 1956 ou Loi Gaston Defferre instaure le suffrage universel dans les colonies ; ouvre la voie vers l’autonomie devant conduire aux indépendances. Dès lors, le nouveau contexte induit une nouvelle forme de citoyenneté : celle de l’Africain libre qui conçoit sa propre constitution.
De la Constitution de 1958 et de la citoyenneté guinéenne
Je ne reviendrais pas sur l’histoire constitutionnelle de la Guinée que j’ai largement décrite dans « Pourquoi voter Oui le 21 septembre 2025 » ? C’est la constitution de novembre 1958 qui a consacré la notion de « Citoyen guinéen ». Texte fondateur de la jeune nation, la première dans l’ex-AOF et AEF, sa mission principale est de redonner au Guinéen son identité ; d’en faire un citoyen pleinement reconnu comme tel. Un citoyen, non plus de seconde zone aux droits limités et aux devoirs imposés de l’extérieur.
La Constitution de 1958 crée le citoyen guinéen et le valorise aux yeux du monde. Il est fêté dans les pays dits progressistes (ou démocraties populaires) de l’époque Il est accueilli dans une ferveur variable par les démocraties libérales compte tenu de l’orientation politique du nouvel État.
Il n’en reste pas moyen qu’un citoyen, réellement africain voit le jour en Guinée. La constitution définit ses droits et devoirs fondamentaux en son Titre X, articles 39 à 48. Toutes les constitutions postérieures reconnaîtront et renforceront les dispositions de la « Constitution-mère ».
Le Guinéen post-colonial, reconnu de partout, faut-il oser le dire, a souvent un air altier devant ses compatriotes africains. La faute à De Gaulle, me dira-t-on. Plus sérieusement, fier de notre indépendance, nous respirons un nationalisme raisonnable.
La citoyenneté guinéenne ne s’est pas altérée au fil de changement de constitutions. Bien au contraire. Elle s’est consolidée et fortifiée le sentiment d’appartenance à la nation. Tout effet contraire est induit par les pratiques politiques de certains régimes qu’a connus notre pays.
L’espoir est grand que la concorde, l’égalité et la justice sociale invoquées, de 1958 à nos jours, sans réellement s’appliquer se concrétisent dans la Nouvelle constitution. Nous pouvons dire en guise de conclusion que constitution et citoyenneté sont dialectiquement, politiquement et idéologiquement liées.
Mon pincement au cœur, pour ne pas dire mon regret, c’est le fait que le terme « Guinéen » ne soit pas consacré par la Nouvelle Constitution comme seule référence d’appartenance à la nation. Telle était, de mon point de vue, la façon la plus simple de mettre fin au repli identitaire.
Par Lamarana Petty Diallo
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